Canapé et vieilles dentelles

Elle était allongée là, sur le canapé, la couverture sur les pieds. La tasse de thé posée sur le guéridon.

A 15h15, elle avait commencé son rituel. Je la regardais affalé sur le tapis. Elle avait sorti le plateau, deux tasses, deux soucoupes, la théière. Elle avait fait bouillir de l’eau, versé trois cuillers de thé russe et avait attendu dix minutes avant de remplir les tasses. Ses mains aux longs doigts élégants valsaient entre les ustensiles, avec agilité. En même temps, elle me parlait. Je clignais de mes yeux verts en guise d’avertissement. « Il va venir aujourd’hui. Tu sais comme il aime ses moments avec moi. » Elle avait l’air heureuse.

Il était en effet venu. L’avait enlassée, embrassée et avait posé sur la table deux tartelettes aux framboises. « Oh qu’elle gentille attention. Tu sais que ce sont mes fruits préférés? » Non, il ne savait pas et mon instinct de félin me disait qu’il n’en avait rien à faire. Ils étaient assis sur le canapé. Ils avaient bu le thé, dégusté les gâteaux. Il lui tenait la main et la regardait dans les yeux. Elle prenait ça pour de l’amour. Je m’étais levé, étais passé sur ses genoux pour attirer son attention. Elle m’avait repoussé.

A peine une heure était passée depuis l’entrée de l’homme, et déjà elle suffoquait. Dans sa bouche, dans sa gorge, dans son ventre, le poison oeuvrait. Il attendit impassible, lui tenant toujours la main, son regard plongeant dans ses yeux devenus vitreux. Elle s’éteignit comme une chandelle. Il l’allongea, prit sa tasse et partit. Et moi, j’étais là, pauvre chat angora, impuissant, ne pouvant rien faire d’autre que de lécher ses doigts et attendre un miracle.

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