Dans la peau d’un saxo

Que m’arrive-t-il ? Il fait noir et ça remue.
J’entends des voix, j’ai la nausée.
Me voici dans une boîte depuis plusieurs jours. C’est inhabituel. Avant, on me sortait au moins deux fois par jour, voire je trainais pendant plusieurs jours sur le vieux fauteuil élimé du salon. Mais là, cela fait déjà un long moment que je repose sur du velours dans l’obscurité de cet espace feutré et confiné. J’ai chaud et je tangue.
Soudain, plus rien ne bouge. J’entends enfin les charnières claquer. Le couvercle s’ouvre et la lumière glisse le long de mes formes. Mes courbures scintillent.
« Oh ! Qu’il est beau ! Je peux l’essayer ? » Entends-je.
On me soulève doucement, m’observe, me retourne. Tel un voilier arrivé à bon port, je sens des lèvres coincer mon bec. D’abord un souffle hésitant, quelques pressions sur mes touches, une composition amphigourique auquel je ne peux répondre que par un horrible couinement. On dirait Halloween tellement la peur s’empare de moi. UN DEBUTANT, QUELLE HORREUR, TOUT MAIS PAS ÇA !
Je me ratatine, qu’il était bon l’ancien temps, où je voyageais à travers le monde, de concert en opéra, dans les plus grandes salles, Carnegie Hall à New York, Albert Hall à Londres, la Scala de Milan. Mon maître et moi étions les plus grands, les plus applaudis, GLOIRE ! Je sortais alors des sons si beaux, si purs, si cristallins. Là maintenant, j’ai l’impression d’être une tartine pleine de trous dans lesquels la confiture dégouline.
On appuie sur mes mauvaises touches, de grâce, ne mélangez pas tout ! Je ne suis pas encore une morue séchée et dessalée au soleil.
Je rêve encore des beaux jours. Pourquoi suis-je là, aujourd’hui ? Cet enfant car je l’imagine enfant tire le pire de moi même. JE SUIS UN INSTRUMENT DE MUSIQUE, UN VRAI UN SAXO ! PAS UN JOUET ! C’est trop triste de finir ainsi.
Je pleure, je couine, plus rien de bon ne sort de moi. Et puis petit à petit les sons deviennent moins dissonants, l’enfant appuie mieux sur les touches, plus franchement. Je sors un premier DO, digne de ce nom. Ce n’est pas encore un bijou de note mais elle est bien posée. Je me mets à rêver et si cet enfant hésitant, se révélait un nouveau Maestro ? Une nouvelle voie lactée s’ouvrirait à moi. Je renais, je reprends mon souffle et vibre de nouveau.

Ce contenu a été publié dans Atelier Papillon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à Dans la peau d’un saxo

  1. Sophie dit :

    Tu nous avais déjà touchés avec ta douce « raflette » qui revenait à la vie grâce aux rayons bienveillants d’un soleil aux accents printaniers; ici tu te glisses dans la « peau » cuivrée d’un saxo avec maestria. On aimerait l’entendre jouer!
    D’ailleurs ton texte se lie particulièrement bien avec en toile sonore un morceaux de jazz des années 30…

  2. Hy Hoa dit :

    Quelle imagination et quelle voix ! Ce saxophone éclate par tes mots , on prend part à ses voyages au quatre coins du monde dans les salles de concert , on rêve et on vibre avec lui , et on croirait l ‘entendre avec son maitre, peut être Michel Portal, en duo avec Jacky Terrasson, deux jazzmen que j’ aime beaucoup, ici tout simplement au festival de Marciac
    http://www.youtube.com/watch?v=zcGt4YeSR2k
    Hy Hoà

Laisser un commentaire