Le papillon

LE PAPILLON

Et de nouveau le soleil sombra.
L’obscurité s’installe dans la chambre. Personne n’est venu pour mettre la lumière. On ne sait pas vraiment si elle voit. Ses yeux pourtant sont ouverts et suivent les mouvements. On ne sait pas non plus si elle pense. Depuis son dernier AVC, elle a perdu la parole. On la croit presque morte.
Elle gît, abandonnée, dans le lit médicalisé. La bave coule de ses lèvres. Un tressaillement parcourt son bras droit. Celui de l’écriture. Elle voit, elle pense, elle vit, elle souffre. Elle les regarde s’agiter autour d’elle, fourmis affairées. Ils dénient toute humanité à ce corps incapable ou bien ils pensent que l’ignorer c’est arrêter de souffrir. Elle ne sait pas. Elle n’a pas encore tranché. Elle y pensera un autre jour. Là, elle est préoccupée par l’apparition d’un nouveau papillon. Aujourd’hui, en plein midi, il s’est posé sur le rebord de la fenêtre. Ses ailes lui semblaient comme du velours. Elle sait que selon les fleurs les papillons sont différents. Qu’a-t-on pu changer dans le jardin ? Elle se souvient des rosiers longeant le mur. On n’a quand même pas arraché ses rosiers ? Et la bouillée de lavande à droite de la fenêtre ! Elle n’en sent plus le parfum. C‘est vrai que ce n’est pas encore la saison. Mais Dieu que ce papillon est beau. Et immense en plus. Quelle pétale de fleur, quel parfum peut attirer une telle beauté ?
Parfois une fleur très quelconque attire de jolis papillons. Mais celui-là il est spécial, exceptionnel.
D’habitude l’absence de lumière dans la pièce la démoralise. Là elle ne s’en rend même pas compte. Sa mémoire est illuminée par cette image. Nulle gracilité. Il est l’énergie. Il s’est posé sur le bord de la fenêtre ouverte. L’a-t-il regardée ? Ils ont des yeux les papillons, se demande-t-elle ? Alors il a déployé ses ailes, il s’est retourné. Il bat des ailes avec force. Oh ! Il avait l’air fier de montrer sa beauté. J’espère quand même qu’ils n’ont pas enlevé les rosiers. Ca l’angoisse de ne plus sentir les roses. Comment saura-t-elle que l’été bat son plein ?
La lumière. Ah ! Ils se sont souvenus d’elle. Si seulement elle pouvait parler, pour savoir quelle fleur correspond à ce papillon. Comment leur dire. Parce qu’elle est vieille, ils pensent qu’elle n’a plus rien à dire. Elle est en colère. Ils savent sa passion pour le jardin. Une fois seulement son petit-fils lui a ramené une rose du jardin. Sa mère s’est précipitée : tu n’y pense pas, le pollen s’est allergisant ! La crétine !
La tristesse s’abat soudain. Qu’il fasse noir là maintenant et pour toujours !
Et puis un battement d’ailes la réveille. Le soleil s’est installé haut dans le ciel. Le papillon volète dans la chambre, frôle sa joue. Quel bonheur. Elle admire la texture des ailes. Il y a des taches d’or aussi. Et ses antennes magnifiques. Il s’élance, revient, virevolte. Il compose un ballet pour elle seule. Il s’approche, se fait admirer. Si elle n’était pas allongée dans ce lit, jamais elle n’aurait pu voir une telle merveille d’aussi près ! Mais quelle fleur peut accueillir un tel papillon ? Alors elle passe en revue toutes les senteurs connues d’elle. Elle imagine celle qui s’allierait à une telle beauté.

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