La mesure des choses

J’aime prendre la mesure des choses. Alors je mesure.
L’intensité du soleil à midi
La température de mon humeur
La distance qui me sépare de mon lit lorsque je suis attablée devant le petit déjeuner
Je mesure la foule qui, pressée sur le quai, attend le train de 8h12
La vitesse des nuages quand souffle la tempête
Je mesure mes pieds
Le poids d’une demi tablette de chocolat
La force de mes rêves lorsqu’ils me réveillent, la nuit
La couleur de l’eau
La densité du pain
Celle du vin rouge
Je prends la mesure du temps qui passe, de la flamme dans le feu, de la couleur de la pluie
Et je serre
Je sers le gâteau et le vin dans les verres
Je serre ta tête dans mes mains
Fort
Trop fort
Alors je lâche ta tête de mes mains
Et me voici, moi,
Bras ballants
Ça fourmille dans mes doigts
Alors je serre mes mains ensemble
Et mon baluchon sur mon porte bagage
Bien fermement pour éviter la chute
Je serre le guidon
De la main droite
De la main gauche
En équilibre
Un pied à terre
Je lâche le sol
Et je file je m’envole je disparais
Les pieds en l’air
Qui tournent et tournent et tournent
Le regard loin
Au-delà de la route
Jusqu’au bout de l’île
Les yeux plissés
Et je mesure
Ma liberté
L’immensité de l’air
La poussière du chemin
Les clôtures frêles
Je compte les ânes
Les chevreaux
Les vaches
Les lapins invisibles
Les chasseurs chez eux
Je mesure le vent
Le temps distendu
Les brins d’herbe couchés
Les fleurs jaunes grandes ouvertes
La ligne d’horizon
L’or des cailloux
Les bois flottés
L’écume
Le sable
Je mesure l’insondable et mon mètre n’y suffit pas
D’infimes petits cailloux
Tous serrés les uns contre les autres
Solidaires et perdus.

 

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