7. Ombre et lumière

Les deux personnages, situés à l’arrière-plan du tableau, viennent tout juste de faire l’amour dans la joie et la bonne humeur. Elle, nue, lascive, est allongée sur une longue feuille végétale en forme de hamac. Un plaisir physique et sensuel se prolonge dans sa main posée sur le sein caressé, l’instant d’avant, par son amant. Lui est parti se baigner, nu, dans l’eau douce et enveloppante d’un ruisseau paisible. Il s’avance dans l’eau jusqu’à la hauteur de son sexe qu’elle caressait, l’instant d’avant. Tout deux sont dans la joie indicible qui suit leur accouplement. Une sensualité animale, au coeur de la forêt, une île lointaine, une île au milieu des tropiques. Ivresse, volupté d’un acte sexuel débridé, sous une lumière éclatante, une chaleur moite, dans la luxuriance végétale d’une île paradisiaque. Sur le hamac, la femme comblée laisse aller sa tête tournée vers l’avenir : prendre un bain dans le torrent de la rivière, entourée des trois enfants qu’elle projette de concevoir avec l’homme qu’elle aime, et qui l’aime. Une baignade qu’elle entrevoit dans la lumière et sous la bienveillance d’une divinité, la statue d’une Venus antique, vue de dos. Son avenir de mère se baigne dans le torrent de la rivière, le torrent de l’amour, sous le regard protecteur d’une Venus, peut-être égyptienne, échappée d’une pyramide ou d’un temple édifié il y a bien longtemps, dans la nuit des temps.
Mais, pour l’heure, sur cette île de l’amour, celui qu’elle aime est parti se baigner nu dans la rivière. Son pénis est recouvert d’un coquillage circulaire. Celui-ci a été déposé sur son sexe par la main amoureuse de cette femme restée sur le hamac. Ce n’était pas un geste de pudeur : le bruit court en effet que le pape GCDE surveille la rivière au premier plan, sur la gauche du tableau. GCDE ? Grand Castrateur Devant l’Éternel. Elle sait que l’avenir pourrait être contré par ce GCDE et c’est pourquoi elle se voit aussi dans un futur, avec ses trois enfants, armée d’un bâton sur l’épaule, prête à se défendre et à protéger ses petits. La présence écrasante du GCDE fait monter l’angoisse sur le visage de son amant si heureux, l’instant d’avant. Le caillou, qu’il serre dans sa main droite, sera-t-il de taille à faire fuir l’intrus ? Lequel se tient, les bras en croix, dans la fatalité d’une obéissance aux voies du Ciel qui, elles, sont, comme chacun sait, impénétrables.
Ce n’est pas la première fois qu’un pape prône la castration. Historiquement, celle-ci se pratiquait pour des raisons strictement musicales. Les papes ordonnaient en effet la castration des chanteurs de leurs églises. Le but était de les obliger à conserver leur voix d’enfant, tout en bénéficiant d’un volume sonore que seule la cage thoracique adulte peut produire. Sixte Quint fut le premier pape, en 1589, à autoriser formellement une telle cruauté. C’est ainsi que se développa, dans les temps qui suivirent, la terrible tradition des castrats, au choeur de la chapelle Giulia, dans la basilique Saint-Pierre à Rome. Sur ce tableau, notre GCDE ferait mieux de regarder vers le bas plutôt que vers le ciel. Il y verrait que les dents d’un lézard géant s’apprêtent à lui faire subir le même sort que celui autrefois réservé aux malheureux chanteurs de la chapelle Giulia.
La présence d’une sombre BPM, située à l’arrière-plan du tableau, près des deux arbres, représente sans doute un danger bien plus mortel pour les deux amants. BPM ? Burqa Pour Mec. La BPM arrive du royaume des ombres afin de punir la fornication des deux amants, pourtant espionnée jusqu’au bout par ses soins malveillants, dans un silence inquisiteur, l’instant d’avant. La BPM est en réalité une robe de bure au service des forces de l’ombre et de la mort. Une mort que cette BPM a d’ailleurs essayé d’engendrer en jetant un sort aux deux amants. En témoigne cet arbre mort, le tronc déchiqueté par la foudre, resté suspendu en oblique, et qui a bien failli s’abattre sur le hamac, juste au-dessus de la belle endormie.

N.B. Cela fait plusieurs jours que j’ai achevé d’écrire ces insulaires élucubrations et j’apprends que le pape représenté sur le tableau n’est autre que le fameux Pie XII, celui-là même dont le pontificat s’est déroulé dans une Europe en plein nazisme. Ce collage de Jacques Prévert, intitulé Des animaux terrestres, est reproduit dans Fatras (1966) où il s’accompagne de deux phrases écrites par Prévert lui-même :
– Pie : nom d’oiseau de certains papes.
– Si on avait compté les siècles depuis Eros ou Venus, au lieu d’après Jesus-Christ, on n’en serait pas là.

P.S. En France, bien loin de cette île, avec un tout nouveau président, nous sommes encore en Vème république. Une république où, comme dans le tableau de Prévert, les forces de l’ombre existent. Elles se nourrissent aujourd’hui, entre autres, des âmes perdues de la 11ème circonscription du Pas-de-Calais, à Hénin-Beaumont. C’est là que L P tente d’asservir les plus faibles et les plus meurtris, avant de les jeter dans un monde sans joie. L P ? Le Pen. On se prend à rêver : et si la Venus antique du tableau pouvait vaincre l’obscurantisme répandu par L P ? Et si on lui donnait un coup de main ?
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