Couleur et verbe

Dans les premiers jours de mon boulot à l’usine, j’ai entendu, à plusieurs reprises, l’interjection : « c’est un jaune !! » Cela tombait comme un molard lourd & poisseux sur le sol noir de cambouis. Cette affirmation se faisait à mi-voix, rarement en présence d’un chef, comme on se débarrasse agressivement d’un objet trop lourd. « C’est un jaune » me plongeait dans la plus grande des perplexités. Je n’osais regarder en face celui d’où elle venait.

Il y avait parmi nous un certain nombre d’ouvriers venus de Chine, pendant la « Grande Guerre », pour bosser. Tous nos hommes étant aux tranchées. Un matin, à la cantoche, j’en rencontrais un. Il était plus blafard de peau, mais à ses yeux & surtout son sabir, je compris qu’il en était. Je sus par la suite qu’il avait, avec presque tous ses copains de là-bas, refusé de faire la grève, imposée par le syndicat « rouge » des métallos.

De là venait cette affirmation en forme d’insulte. Un « jaune », pour l’ouvrier que je devenais, ne pouvait être qu’un traite, à la classe ouvrière, un briseur de grève.

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