L’orage

La barbe, il s’est encore passé la main dedans. Mauvais signe, signe de pluie dit la Mémé. Elle le connaît bien comme si elle l’avait fait, aime-t-elle répéter. Déjà petit et sans barbe, il passait la main sur son menton et dix minutes après, tout le monde levait les bras au ciel en entendant les premières gouttes frapper le sol de la ferme. Et vlan, c’est vrai une fois encore. A l’instant, le ciel s’assombrit et un premier éclair jette une lumière zébrée sur les champs. Nos cheveux se dressent sur la tête, sauf sur celle de Marcel qui n’en n’a plus depuis longtemps. Mais ça ne l’empêche pas d’avoir les yeux ronds et le regard affolé. Il enlève ses binocles et s’éponge le front. Une goutte de sueur perle sur sa joue. Il l’écarte d’un revers de la main. Le silence et l’orage électrisent la pièce. La Josette tapote de ses doigts sur la table. D’abord doucement puis de plus en plus fort et vite au rythme des gouttes. La lumière au plafond s’éteint en réponse au coup de tonnerre. Un silence assourdissant envahit l’espace. Je devine le Pépé se caresser la lèvre du haut comme Humphrey Bogart au cinéma. Je connais son geste par cœur, il le fait quand la récolte est mauvaise ou la vache met bas difficilement. Il est inquiet, ça se sent.

J’imagine ma copine Lulu, quand je lui raconterai demain la scène à l’école. Elle ne me croira pas, une fois encore. Mon oeil me fera t-elle comme toujours. J’en ai marre de Lulu et pour une fois, je la regarderai de haut en me redressant sur ma chaise car cette nuit l’orage me fout vraiment les j’tons. J’aimerais bien qu’il cesse. La pluie crépite toujours plus fort sur le toit et Mémé Toc-Toc dans son fauteuil à bascule se tape la tempe de son doigt. Ils sont tous fous marmonne-t-elle entre ses lèvres en offrant à la nuit son sourire édenté. Mais quand cela finira-t-il ?

Pascale L