La paix entre nous

J’ai trouvé son mot accroché à mon balcon. J’ai eu de la chance. Enfin je ne sais pas. Il aurait pu tomber, mouillé et déchiré par la pluie avant que je ne le vois, avant que je ne parvienne à le déchiffrer, et que l’encre n’en soit lavée.

Il aurait pu s’envoler, tout simplement.

« Que ce rameau d’olivier permette que nous fassions enfin la paix». Dans l’enveloppe il y avait trois feuilles au bout d’une brindille. Je veux bien qu’il s’agisse d’un olivier, s’il le dit.

Une drôle de façon de me tendre la main. Une façon qui défie le destin, dans le choix de sa forme fragile et éphémère. Souhaite-t-il vraiment que nous fassions la paix, pour qu’il me le demande ainsi ? Ce que je perçois d’ambivalence dans sa démarche me met mal à l’aise. En ce début d’année, que cherche-t-il ainsi à me signifier ?

Il y a bien longtemps que je ne m’imagine même plus la paix entre nous. Mais paix n’est mas le mot juste. Il est sorti de ma vie, ou plutôt je l’en ai expulsé, un soir, quand l’accumulation de rancœur, de tristesse et de colère a été trop forte en moi. Quand l’évidence de l’impossibilité n’a plus laissée de place au doute. Quand j’ai comris que je n’avais rien à attendre de lui, qu’il ne serait jamais à la hauteur de ce que j’avais toujours espéré qu’il soit et devienne un jour : un père.

Pendant longtemps, j’ai espéré qu’il comprendrait, qu’il s’excuserait.

Un jour, après un long combat,  je me suis résignée à faire une croix sur toutes ces années où j’avais espéré qu’il prendrait enfin sa place et j’avais tenté de le considérer comme un étranger qui m’indifférait. Mon entourage s’en offusquait.

Mais je n’avais jamais réussi à lui pardonner sa préférence pour les jeunes enfants de notre famille. Ceux qu’on appelait mes frères et sœurs, qu’il appelait ses enfants, et que je ne savais regarder qu’avec jalousie et détresse.

Et aujourd’hui il me parlait de paix, là où j’aurai tant souhaité entendre le mot amour. Une fois de plus, il n’avait rien compris. Il ne comprendrait, ne devinerait jamais, de ça maintenant, j’étais sure et certaine. Mais de là à l’accepter ?

Je regarde les quelques mots qu’il m’a écrit, la pauvre petite branche qu’il nomme olivier, je me souviens à quel point il paraissait usé et fatigué la dernière fois que je l’ai croisé.

La paix entre nous. La paix avant sa mort. Accepter de ne pas chercher à réparer ce qui ne peut plus l’être.

Accepter et poser les larmes.

 

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