Un matin vert

– Sais-tu que pendant les fenaisons, les élytres battent dans un délire orphique ?
– Hein ? Qu’est-ce que tu nous causes Ninnin ?
– Hey Antonin, sais-tu que pendant mes heures de PMU, je m’en tape à foison des litres, dans une orgie rouge, blanche et surtout rosée, en été ?!…
– Ah ah ah bien vu Marco ! Ah ah ah.

Antonin était la risée de ses collègues, le matin, tôt, à l’heure où verdit la ville, que les escadrons d’éboueurs arpentent méthodiquement, comme une terre récemment conquise.
Il n’était pas à sa place. Trop lettré pour eux, il rêvait de restaurer la grandeur des mots enfouis dans les bibliothèques d’école, comme harmonium ou madrigal. Trop autodidacte, et surtout trop humilié par ses différents pères, géniteur, instituteur ou curé, lorsqu’il était enfant, pour oser affronter le monde l’entreprise, qu’il craiganit être le monde de l’emprise de la question, sans réponse dans son cas.
Le blanc lui faisait peur. Silence, autorité, vieillesse. Il était habilé de vert, les joues rouges à force de boire son petit jaune avec ses collèguesmoqueurs, moins nobles que l’oiseau, et il riait de la même couleur – jaune.
N’être pas à sa place, et pourtant y rester. Dans l’attente. Passif. Face à lui ses collègues, forts et heureux de leur groupe en uniforme, une meute, un empire. Que pouvait-il faire ? Il fallait bien se nourir, payer son loyer, donc vendre ses bras et son temps contre des pièces. Et puis parler un peu, pour ne pas devenir fou, quitte à ce que le rire soit la seule réponse, le doigt pointé vers lui la seule main tendue, le coup de coude taquin la seule embrassade. Tout sauf le silence.

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