« le Gilet Rouge »

Toi, on t’appellera Arsène, dit ma tante Marguerite à cet homme, nouveau pour moi, debout dans l’entrée du petit salon où nous nous trouvions.

Il était là, planté droit & silencieux ; et je ne voyais que son gilet rouge qui lui mangeait plus que la moitié du corps. Il venait pourtant de dire qu’il s’appelait Pierre. Ici, tu t’appelleras Arsène, parce que tous mes valets de chambre, je les appelle comme cela.

Le silence de Pierre disait sa soumission & sa révolte secrète.

Tout cela, je l’avais perçu, & n’en ai compris le sens profond que bien des années après. Nous étions dans un monde codifié ; mais c’était toujours les mêmes qui donnaient les codes & aussi les mêmes qui les recevaient, les subissaient. J’ai su aussi que ces derniers changeaient de rôle & faisaient de même à l’office. Au final, il y avait une hiérarchie réelle, complexe entre les uns & les autres. Tout en haut une petite élite supposée qui fixait & n’était jamais l’obligée de personne. Tout en bas un grand nombre qui était assujetti à tous & à chacun.

Le gilet rouge d’Arsène éclairait l’appartement, le signalant de loin, car son silence, presque total, ne permettait pas de deviner sa présence.

Ce gilet avait été porté auparavant par Lucien, Ambroise & Désiré. Celui-ci était encore dans les mémoires de tous, car, contrairement aux autres, il avait quitté la maison de lui-même, et il était devenu une sorte d’ « étoile du Tango Argentin ».

 

Ce contenu a été publié dans Atelier Papillon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire