Tanger – juin 2013

Te souviens-tu de Tanger, véritable théâtre pour étrangers échappés d’une geôle lointaine, et où nous étions arrivés par la magie d’une loterie joués avec des marins sans vergogne, sur un navire si vert que, même en pleine mer, alors que l’horizon se dessinait devant nous, nous nous demandions si nous avions quitté la terre ?
Lorsque tu liras ces mots, j’aurai quitté la Terre. Je te l’ai dit, c’est ce que je souhaite à la fin du parcours : rejoindre cette terre que j’ai tant aimé, et la nourrir à mon tour de mes cendres. Nous avons bien vécu tu le sais, et à l’heure où je te quitte, sereine et entière, ton chagrin n’aura pas lieu d’être. Notre maison aux volets verts restera ton refuge contre le vertige de la vie qui se prolonge en solitaire. Prends soin de mes roses trémières et du vieux poirier fragilisé par trop d’hivers rigoureux. Continue à lire l’après-midi, assis sur ton fauteuil de rotin, caché au fond de la serre. Nous avions acheté les meubles de jardin à la brocante de Saint-Goustan, alors que nous passions des vacances méritées mais pluvieuses. J’aimerais que le potager revive encore et que chaque fin d’été la cuisine s’emplisse du parfum des confitures de fruits. La grande table en chêne est couverte de taches de pulpe et de sucre mêlés. Les vieilles cafetières attendent chaque matin de servir encore une fois le café, celui que nous buvions toujours ensemble quelle que soit la journée qui nous attendait.
J’ai déjà rangé mon bureau, courriers, livres, carnets de notes. J’aimais écrire avec le soleil du matin caressant la feuille.
Nos promenades de l’après-midi dans les champs sont éternelles. Avec le temps, ton chapeau est devenu indispensable pour protéger ton front du soleil trop fort. J’aimais m’appuyer sur toi, te tenir par le bras, malgré ta démarche devenue bancale. Les derniers temps, nous parlions très peu, non pas par indifférence, mais bien au contraire parce que nous étions au diapason l’un de l’autre. La Terre nous portait et le Ciel nous protégeait, c’est pourquoi je t’ai demandé de me laisser les rejoindre l’autre jour. Même si mon passage s’est fait en solitaire, tu m’as tenu la main jusqu’au bout et tu as fermé mes paupières de papier fin. C’est ainsi que j’ai voulu partir, avec toi près de moi.

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