Sussex, campagne anglaise, Janvier 1930
Me voilà revenue à mon point de départ, je n’ai pas vu l’année passer et pourtant…
Par où commencer ? Pendant que je cherche mes mots, je jette un coup d’œil par la fenêtre et je contemple ce jardin, notre jardin, le lieu de nos jeux d’enfants.
Tu me manques petite sœur, l’émotion m’étreint, nous sommes si loin l’une de l’autre à présent et ces quelques mots que tu recevras par delà l’océan ne suffiront pas à combler tout le manque que ton absence a créé ici.
Il doit neiger à New-York, tes enfants pourront passer la journée dehors à se lancer des boules de neige et à faire de la luge. Ici rien ne change, les choses semblent figées, les rituels de la vie quotidienne sont immuables. Père a tout de même vieilli et Mère veille toujours sur les affaires domestiques d’une main de fer. Tout est morne à cette saison, le vent siffle dans la lande et le brouillard recouvre la campagne d’une aura de mystère.
J’ai hâte que le printemps arrive, les premières roses écloront et empliront l’air d’un parfum suave et secret. Je pourrais de nouveau me promener, des heures durant, dans les sous-bois et les vallons, sans croiser âme qui vive, et rêver à cette autre vie que j’aurais pu avoir si j’avais accepté d’épouser John…
J’ai trouvé ta carte de voeux posée sur la table du jardin, Miss Smith sait que j’aime lire mon courrier en paix. Seulement quelques lignes griffonnées à la hâte, mais tout y était contenu : « Que la nouvelle année soit chargée de douceur et de couleurs comme le placard d’une petite fille gâtée ». Sans doute suis-je restée au fond de moi cette petite fille un peu capricieuse, comme tu le dis si bien. Je m’arrête là, les mots me manquent tout à coup, cette lettre remue trop d’émotions en moi.
Ecris-moi ma douce,
Ta soeur Emmy
