Le Noël de Manuel

Manuel travaillait le jour. Manuel travaillait la nuit. Manuel travaillait la semaine. Manuel travaillait le week-end. Il avait besoin de beaucoup d’argent pour offrir les cadeaux de Noël. Sa femme lui avait demandé de dégotter un santon rarissime pour finaliser sa crèche. Il avait dû payer un détective pour rechercher cette perle rare. Sa fille, qui n’avait encore aucune conscience de la valeur des choses, voulait un sac à main vintage, un peu rétro. Elle l’avait repéré avec une copine quand elle était partie en week-end à Londres. En plus du sac, il fallait qu’il paye un billet Eurostar pour son acheteur.
Manuel avait été élevé comme ça : la famille avant tout. Alors il cédait aux caprices de sa princesse et faisait rêver comme il pouvait la femme qu’il avait épousée.
Lui rêvait de temps en temps mais très peu. Il n’avait pas vraiment le temps. Tous les jours, il soulevait le parpaing et trottait avec sa lourde charge. Un jour qu’il est allé, supportant un énième parpaing jusqu’à la fenêtre, il fut ébloui par la lumière du matin. Encore une nuit passée à construire une maison qui n’était pas la sienne.
Il s’assit à la fenêtre, cacha sa fatigue comme toujours. Il voulait rêver aussi, être en paix. Pour le moment, il empilait, créait des murs aussi hauts que des montagnes. Il avait compris avec le temps : les gens se parlent peu, ils s’isolent, ils se barricadent. Rien à voir avec les manifestants de sa jeunesse.
Aujourd’hui, lui non plus ne jette plus de parpaings, ne se révolte plus. Il construit des maisons pour d’autres, se plie en quatre pour donner du bonheur éphémère aux personnes qui partagent sa vie misérable. Il veut rêver, il veut s’échapper. Il ne sait plus comment. Il construit lui-même les murs de sa prison.

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