Lorsque la pluie viendra, page 96

Debout au bord du champ, il guettait. Le ciel était bleu à l’infini et les champs de blé s’étendaient sur des kilomètres. Ils étaient jaune or maintenant, et semblaient presque en flammes sous le soleil de plomb. Jean passa un mouchoir sur son front dégoulinant de sueur. Il était trempé du matin au soir tellement la chaleur était intense. Elle ne se calmait jamais, même pas la nuit. Dans la maison, Jean et sa femme dormaient toutes fenêtres ouvertes, mais pas un courant d’air ne les rafraîchissait. Ils dormaient peu, à cause de ça et aussi parce que maintenant ils attendaient, inlassablement. Les nouvelles dans le journal avaient été si mauvaises. Et en même temps, les lettres avaient cessé d’arriver. Avant cela, elles étaient régulières, deux fois par semaine. Une le samedi et la seconde le mardi ou le mercredi. Parfois, l’encre avait un peu coulé, ou le papier était tâché, des traces de doigts, de doigts sales, boueux. Jean et sa femme s’en fichaient : ils lisaient avidement toutes les phrases. C’est elle qui lisait car elle était plus à l’aise, et Jean écoutait attentivement. Quand elle avait fini, il secouait la tête, faisait une petite moue, frottait ses mains sur son pantalon et se levait pour sortir. Il retournait dans les champs, y retrouvait calme et paix. Pourtant, il entendait encore les cris et les explosions que racontait son fils dans les lettres. Quand elles avaient cessé de venir, il s’était mis à attendre, comme on attend la pluie quand l’été est trop chaud, et que les cultures grillent sous le soleil. Souvent, il aurait voulu pleurer, mais ses yeux aussi étaient secs, comme les cours d’eau de la région. Le flot des mots lui manquait. Il faut dire que son fils écrivait bien, il était l’instituteur du village avant la guerre.

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