Everything’s gonna be OK

Voyager au bout de la Terre, voyager au bout du monde. Partir et découvrir d’autres horizons. Partir pour laisser son passé, profiter du présent et construire un avenir. Se nourrir de toutes ces nouvelles terres, de ces découvertes : « non, ce ne sont pas des loukoums, c’est japonais, de la pâte de haricots enrobée de pâte de riz, c’est moins calorique ». Remplir le vide, nourrir son ventre, son esprit et son cœur. Partir loin d’ici ou rester ici. Faire le tour du monde en  80 jours en montgolfière, à cheval, en voiture, en avion, pour se découvrir, pour se redécouvrir.
[…]
Ça tourne ! Ma tête tourne. La Terre tourne. L’horloge tourne. Tout va trop vite. Ou pas. Parfois, on a l’impression que rien n’avance, qu’on reste plantée là à attendre que le vent tourne, que la chance tourne. Il m’a dit « tu es belle », il m’a dit « je t’aime » pourtant il part avec une autre que moi. Tout ça parce qu’on habite chacun un bout de la Terre mais pas le même bout. Où est-il le bout de la Terre ? Partir, voyager, chercher le bout de la Terre. Le coin de paradis où je me sens chez moi, où je ne fuis plus, où je respire enfin. C’est peut-être ici, peut-être là. Ou pas.
Et si c’était le vide au bout du monde ? S’il n’y avait rien que le néant ? On aura fait le tour de la Terre pour rien, on y allait pour remplir le vide, le vide qui nous entoure pour finalement trouver le vide. Alors faut-il rester immobile, se terrer dans un coin et laisser le temps s’écouler ? Non, je refuse ! Je veux croire que le tourbillon de la vie ne mène pas au vide. En tout cas, tant qu’on est en vie, gardons les yeux ouverts, qu’ils soient bleus, noirs ou verts.
[…]
Oui, gardons les yeux ouverts, regardons autour de nous. Constatons et clamons haut et fort que ce n’est pas vide autour de nous. Alors peut-être que ce ne sera pas vide en nous.
Écoutons les bruits alentour, le vent souffler dans les branches, un courant d’air faisant claquer une porte au loin, le flot des voitures, des personnes qui profitent d’un week-end ensoleillé pour sortir leur Honda, fenêtres ouvertes ou pas, pour ceux qui ont la clim’, la musique à fond en tout cas. Chacun croit qu’il est seul dans sa voiture, son petit chez soi pour aller d’un endroit A à un endroit B.
Pourtant, dans l’interminable embouteillage qui précède la frontière que l’on désespère de franchir, les gens en ont soudain marre d’avoir les fesses collées à leur siège. Alors, ils sortent sur l’autoroute immobile. Le bruit fuse. Les musiques se mélangent, les gens se parlent, se demandent d’où ils viennent, apprécient les musiques qui s’échappent des habitacles.
Les inconnus se prennent par la main, chantent et dansent, un peu comme une farandole. L’instant d’avant, ils étaient seuls ; le soleil et l’immobilité aidant, ils sont ensemble maintenant.
Un peu plus loin, sur l’aire de repos, de la fumée s’échappe. Ça sent les sardines grillées, les poivrons, la viande, les merguez et les chipo. Les danseurs s’arrêtent et se dirigent vers le barbecue improvisé. C’est sûr c’est mieux une grande tablée plutôt que manger un plateau devant la télé.
Leurs papilles sont en éveil, le goût des autres se fait connaître et s’immisce dans les ventres affamés d’avoir tant attendu ce passage à la frontière. Certains sont partis chercher des bières dans leur coffre, d’autres des alcools un peu plus forts. De toute façon, ils ne sont pas prêts de reconduire. Ou alors ils laisseront les enfants conduire pour le fun, parce qu’ils boivent des jus, du sirop, des sodas, enfin des boissons auxquels ils ont droit.
D’où qu’ils viennent, ils ont tous le sentiment que le temps est suspendu, qu’il faut profiter de l’ici et maintenant. Ils se prennent tour à tour dans leurs bras, langage universel pour des gens qui ne parlent pas la même langue.
[…]
Parce que quand on nous serre dans les bras, que ce soit nos parents, nos enfants ou mieux notre amant, on se dit que tout ira bien. Juste ce geste-là et le vide est comblé. Pourtant, on a du mal à juste vivre le présent, on court, on cherche encore à combler le vide, à faire le tour de la Terre. Que cherche-t-on vraiment ? On cherche sa place, on cherche à remplir le vide.
Laissons-nous plutôt le temps de nous remplir de ces petits riens qui nous comblent. Pourquoi dit-on « petits riens » alors qu’ils peuvent représenter « tout » pour nous ? C’est injuste ce choix de mots.
C’est peut-être dans nos gênes de donner plus d’importance à ce qui nous fait mal plutôt qu’à ce qui nous fait du bien. Insurgeons-nous et donnons plus d’importance à ce qui nous fait du bien. Le sport, par exemple, pourquoi ce serait interdit par des fanatiques ? Parce que ça dégage les mêmes hormones qu’un certain sport dont on ne peut pas parler ? Que ça fait le même effet que le chocolat ?
Pourquoi manger aussi me direz-vous ? Surtout lorsque l’on se cache derrière des kilos plus que superflus, lorsque l’on mange pour compenser, pour combler un vide.
Pourquoi aimer si c’est pour constamment avoir mal, si c’est pour qu’il parte avec une autre que moi ?
On est censés manger et se faire plaisir en mangeant, ce n’est plus une question de survie aujourd’hui. On est censés aimer et être aimée parce que lorsqu’on s’aime, plus rien ne nous fait mal. On a tellement peur de passer cette frontière et se laisser aller à être juste bien. Pourtant, de l’autre côté, il y a la musique de la vie, il y a la lumière et le barbecue géant !
Les papillons et les libellules l’ont bien compris, ils voyagent et migrent au changement de saison. Ils se posent sur les pare-brises, les bancs, les bras des enfants, les margelles, à l’ombre d’un acacia, sur le chapeau de la factrice. Ils se dirigent toujours vers la chaleur et le soleil. Leur voyage a un but : être bien pour les dernières heures qui leur restent à vivre.
Ceux qui chantent et dansent de l’autre côté de la frontière semblent immobilisés par un embouteillage à nos yeux de gens pressés. Mais regardons de plus près, même si leur voyage n’est pas terminé, aujourd’hui ce qui leur fait du bien a plus d’importance que leurs soucis. Pour aujourd’hui, tout va bien. Même si hier, ça n’allait pas et que demain n’est pas encore là. Aujourd’hui, ils ont 19, 29 ou 39 ans. Demain, ce ne sera plus le cas.
[…]
Pourquoi ne pas laisser au 9 le temps d’exister ? On arrondit toujours au supérieur : on n’a plus 19, 29 ou 39 ans, on a déjà 20, 30 ou 40 ans. Ça ne coûte pas 1,99€ mais 2 €. Voilà, on va déjà à demain, à après-demain. Laissons le temps au 9 de faire son année, laissons les pièces de un centime exister pour pouvoir les jeter dans la fontaine et faire un vœu.
En plus, l’année du chiffre 9, c’est l’année du neuf. On en revient donc à nos découvertes, nos quêtes, nos questions. Laissons au 9 le temps de nous donner quelques réponses. On se pose des questions. On part ou pas. On reste ou pas. On va au bout du monde ou pas.
En numérologie, mon chemin de vie est le 9. Pourtant, je préfère le 8 parce que c’est un infini debout. Une ouverture sur tellement de possibilités. Peut-être qu’après le 8, avec le 9 donc, on atteint quelque chose de magique, de magnifique, quelque chose de neuf, une renaissance de soi, on finit un cycle et on repart à zéro. Peut-être. Peut-être pas. On se pose beaucoup de questions ou pas.
L’homme qui est parti avec une autre que moi ne s’en pose pas. Il dit qu’une question amène une autre question, qu’on n’en finit pas. Il dit aussi qu’il vaut mieux parfois ne pas se poser de questions, juste agir en fonction de son instinct, de ce dont on a envie ou pas. Il dit que les réponses à ses questions lui causeraient plus de tort que de bien parce qu’il ne sait pas pourquoi il est parti avec une autre que moi alors qu’il tient à moi.
Il dit qu’il n’avait pas de solution pour lui et moi, lui là-bas, moi ici, comment pouvait-on construire ? Comme il n’avait pas de réponse à cette question, il a préféré ne pas se la poser.
Pourtant moi, je pose beaucoup de questions, comme le font les enfants dès qu’ils apprennent à parler. « Pourquoi les oiseaux ont des ailes ? Pourquoi la libellule s’est posée sur ton chapeau ? Pourquoi je peux pas manger une glace ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? » Et on a souvent comme réponse, une réponse incomplète « parce que ». C’est à chacun de remplir les blancs en espérant ne pas se limiter à « parce que c’est comme ça ».
On m’a dit une fois « pourquoi tu poses ces questions quand tu connais la réponse ? ». C’est vrai ça. Ma fille aussi fait ça. Je crois que c’est parce que j’aime poser des questions. Non, en fait, c’est parce que j’ai besoin d’être rassurée sur ce que je pense au fond de moi. Et si un jour, je ne pose plus de questions, c’est que je ne serais plus là. Parce que je veux continuer à apprendre et découvrir des gens et des contrées que je ne connais pas.
Mon métier, c’est pourtant ça. M’installer quelques années dans un pays qui n’est pas le mien et faire en sorte de m’y sentir chez moi. Ce sera au Nigeria ou pas. Au Japon ou pas. Avec lui ou pas. Nos chemins de vie sont écrits ou pas.
Laissons-nous porter, voyageons, partons loin là-bas ou même restons là. Donnons aux mots l’importance qu’il se doit. Laissons-les nous porter, nous sentir légers comme une libellule.
Ils remplissent le blanc des pages blanches, ils remplissent les couloirs et les rues d’échanges et de voix, ils comblent ce vide qui nous broie. On les colle sur des post-it pour ne pas oublier, ne pas perdre la mémoire. Ils nous font bondir de joie quand on reçoit son appel ou son message. Les mots d’autres nous ont fait rêver, voyager, aimer.
Aussi ennuyeux qu’un dictionnaire puisse être parce que chaque mot y est solitaire, quand ces mots, ensemble, forment une phrase, la magie peut enfin opérer.

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