La rupture

Voilà, c’est fait, on a rompu. Non que je tinsse tellement à ce que cette relation se terminât mais c’est vrai, tu as raison, cela n’avait rien de constructif. Et pourtant les moments de joie éparpillés chaque semaine c’était quelque chose. Tu ne sembles pas convaincu. Là tu me blesses, ce n’était donc rien pour toi ? Une relation épisodique m’as-tu dit. Mais un épisode c’est un moment, il a une couleur, une saveur. Il  laisse une trace dans les souvenirs. Et la joie ? Que fais-tu de la joie ? Celle de se toucher, d’aimer ce contact. Cette attente du désir, ce désir réalisé. En fait tu ne veux rien sentir. Ou alors tu cherches quelque chose que tu ne trouves pas. Je me souviens de tes premiers élans. Ils étaient si enthousiastes que je les trouvais suspects. Je t’ai mis un peu à distance car je prenais tout cela pour du théâtre.

La première fois que je t’ai vu, je t’ai trouvé un peu fuyant. Mais tu m’as plu. Ton grand corps qui semblait t’embarrasser m’a émue. Déjà, j’avais envie que tu me prennes dans tes bras. J’avais envie de me sentir toute petite contre ton grand corps. Je souhaitais que tu m’enveloppes. Comme une protection ? Je ne sais pas. Non, je crois que j’avais envie que tu m’emportes ailleurs. Puis tes mains sont venues vers moi. Elles échappaient à ton contrôle. Les miennes aussi. Elles se rejoignirent, affamées de contact. J’ai tout de suite aimé que tu me touches, même si ça me paraissait un peu rapide. Mais il y avait une sorte d’évidence à ce toucher, toujours déjà là. Et les regards se sont accrochés, avec les sourires. Les regards qui fuyaient et les sourires qui restaient au-dessus des mains enlacés. Déjà un ensemble, un petit équilibre trouvé entre nous.

La première fois je suis partie, mon visage n’était qu’un sourire et ma peau chantait. Nous nous sommes revus bien sûr. Et les mains, les regards ont amené avec eux  l’émotion. Celle qui fait trembler le corps, vibrer le cœur. Cette émotion qui rend tout évident et marque la folie de la rencontre. Pourquoi cette émotion ? On ne se connaît pas que déjà on est ému de ce que l’autre est.

Cette émotion je l’appelle le moment étrange dans la relation. Pourtant c’est le moment où l’autre n’apparaît plus comme un étranger. Cette émotion crée la proximité. Mais pour moi c’est un gouffre. Un gouffre où je me jette si j’accepte de jeter ma raison aux oubliettes. C’est alors que la peur s’est installée. Je réalisai que pour toi, inconnu, j’étais en train de renoncer à ma raison, ma vigilante compagne. Qui étais-tu donc pour que je te suive sur ce chemin ? Mais voilà c’est une question que j’ai perdue en route. C’était déjà le début de la fin. Oui je te le dis c’était déjà la fin de notre histoire. Car j’ai cessé de m’intéresser à toi. Comme toi tu ne t’es jamais intéressé à moi. Mais bien sûr. Dis-moi ce que j’ai lu, entendu, vu ces jours derniers. Tu n’en sais rien. Tu n’as jamais demandé. Ce moment d’émotion qui nous a fait vaciller, nous a rendus heureux a été notre première rupture.

Nous nous sommes intéressés à cette excitation nerveuse pour nous désintéresser de l’autre. En tout cas moi c’est sûr. Qui suis-je après tout pour parler en ton nom.  Ta main me touchait alors mon cœur palpitait, mon corps tremblait. Et je n’étais plus qu’en attente de cette sensation. Tu me disais que tu te sentais vivant. Moi je ne savais pas. Je me sentais perdue. Je t’ai perdu alors. Finalement je ne savais pas quoi faire de cette sensation. Je la trouvais envahissante. Elle perturbait ma petite organisation. Toi tu la mettais en scène, la commentant sans arrêt. On aurait dit que tu venais d’acquérir quelque chose, un objet longuement désiré et que tu manipulais à loisir. Ce fut la deuxième rupture. Tout ce théâtre, ces commentaires m’ont incommodée, ont rendu l’émotion artificielle.

Comment t’appelles-tu ? Oui je sais ton prénom, mais comment t’appelles-tu ? Tu me diras qu’il est un peu tard pour m’y intéresser puisqu’on a rompu. Mais justement maintenant qu’il n’y a plus d’émotion, que le désir a disparu, c’est maintenant que me vient cette curiosité. Comment t’appelles-tu ? Je ne comprends pas me réponds-tu. Qu’est ce que c’est que cette histoire de rupture et d’émotion. Tu as été amoureuse de moi. Et bien, non ! Je suis désolée de cette réponse abrupte. Mais l’émotion n’a fait naître que la peur. Oh je ne l’ai même pas vue, elle était cachée là. Mais entre deux rencontres je n’étais pas préoccupée par toi. Une fois j’ai été joyeuse à l’idée de te retrouver. Sinon rien. Oui je sais c’est étrange. Pourtant chaque moment passé avec toi était un vrai moment de joie. Mais il n’y avait aucun fil entre nos retrouvailles. Et puis un jour il s’est passé quelque chose. Oh je me souviens de ce jour. C’était un samedi matin. Et je m’étais sentie si joyeuse. Plus que les autres fois. Le moment où je suis restée collée à toi contre ton corps tout chaud et plein de poils fut un moment exquis. Il s’est gravé dans mes cellules nerveuses. Et le lendemain soudain je me suis sentie en manque de ton corps chaud et poilu. Puis au fil de la journée je me suis sentie en manque de ta voix. Puis en manque de toi tout entier. Quelle folie atteignait mon esprit raisonnable ? Mon raisonnable esprit si desséché de sentiments habituellement. Et le jour suivant tu m’as manqué encore. Toute la journée tu es devenu une obsession. Je repensais à toi, pas seulement à tes mains ta peau. Tu venais de naître à mes côtés comme une personne. Ma peur a cru mais j’étais toute à ma joie. Et voila que le troisième jour tu me manquais encore. Tellement que j’osais te l’écrire. Mais avec le sentiment de commettre un sacrilège. Avec le sentiment que j’allais te déranger. Mais ma joie était grande. Je commençais à m’attacher à quelqu’un, une personne pas des idées, pas de vagues émotions.

Et c’est alors qu’eut lieu la troisième rupture. Cette histoire n’avait pas vocation à vivre. C’est sûr. Nous l’avons tuée avec obstination. Tu ne pouvais pas me voir, tu étais malade. Déjà tu savais que tu n’avais plus envie de me voir. Mais tu l’as ignoré ou tu as manqué de courage. Mais j’ai compris. Tout de suite j’ai su. Et alors que tu me manquais, que j’aurais dû être triste de ne pas te voir, je fus soulagée. Ma propre réaction me sonna. Comment était-ce possible ? Je commençais à m’attacher à toi. J’aurais dû être triste de cette fin de non-recevoir. Et bien non. Tout à coup je n’avais plus peur. Et c’est de là que me venait mon soulagement. Je pouvais retourner à la quiétude de mes sentiments asséchés. Je ne risquais plus rien. Ma raison n’était plus perdue. Je m’étais retrouvée. Je fus écœurée de moi-même. Quand nous nous revîmes trois semaines plus tard tu ne représentais plus rien pour moi. Même pas un objet de désir. Même si j’aimais toujours ta tendresse, chacun de tes gestes me fut odieux. Je ne te supportais plus. Je fus soulagée de partir.

Et pourtant un regret me taraudait. Le lendemain je t’écrivis un mot plein de tendresse. Mais je ne croyais rien de ce que j’écrivais. J’étais comme dédoublée. Qu’est-ce que je cherchais ? Qu’est-ce que j’attendais ? Je cherchais mon attachement perdu. Moi si froide et raisonnable j’avais ressenti une émotion humaine. Par humain j’entends quelque chose qui me liait à une personne. Ce manque de toi ne m’avait pas fait souffrir. Il avait éveillé ma part d’humanité. Pour une fois je ne contrôlais pas tout. Et cette perte de contrôle m’avait mise en joie. Et ce qui m’attristait c’était d’avoir perdu cette partie de moi enfin révélée. Quoi je ne regrettais pas de t’avoir perdu toi ? Oui c’est vrai. Je crains que mon humanité ne soit encore très limitée ou alors ma peur très grande. En renouant avec toi je tentais de renouer avec moi. Ca ne pouvait pas marcher. D’abord car finalement je ne m’adressais qu’à moi-même et que pour toi c’était déjà fini. Je me demande d’ailleurs si cela a vraiment commencé pour toi. Ton théâtre initial m’a fait penser que tu étais amoureux de l’amour ou du moins que tu avais une idée du sentiment amoureux après laquelle tu courrais. M’as-tu vu comme une personne ? Ou ma vue était-elle tellement obscurcie par la peur que je ne m’en suis jamais aperçue.

Alors voilà c’est fini. Ce fut un instant. Je n’ai pas l’impression que cette histoire ait vécu dans le temps. J’ai plutôt le sentiment d’une instantanéité. Oui  juste un instant. Une émotion fulgurante. Du désir. Du plaisir. De la joie. Enfin le manque. Mais tout ça très vite, sans avoir le temps de s’en imprégner. Tout ça m’est resté très extérieur. Je l’ai peu accueilli en moi. Trop peur. Mais je suis heureuse car j’ai touché le manque du bout des doigts. Je suis vivante. Je commence à comprendre ce que tu disais.

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