J’étais seulement sorti pour une petite promenade

J’étais seulement sorti pour une petite promenade mais finalement, j’avais décidé de rester jusqu’au coucher du soleil, car je trouvais que c’était en allant dehors, qu’on était vraiment dedans.

Dedans le monde, dedans la vie.

A l’intérieur, entre les murs, je me sentais comme isolé, perdu, en dérive sur mon petit parquet de bois qui se transformait alors en îlot voyageur, destiné à toujours plus d’éloignement. Je n’étais pas John Muir sur son canapé, j’étais Christophe Colomb sur sa caravelle. Je n’étais pas confortablement assis à la table du salon pour dîner, j’étais Robinson Crusoé, tapi derrière un rocher, à guetter la proie qui serait alors un festin. J’étais bien.

 

Mais lorsque je regardais par la fenêtre, je découvrais des horizons qui m’effraiyaient et m’intriguaient. Plus que quelques murs, quelques toits, quelques cimes d’arbres élagués, ce que je voyais n’était qu’un immense ailleurs.

J’étais particulièrement fasciné par la toile de fond infinie et changeante du ciel, qui, tantôt m’invitait à sortir me rechauffer sous sa lumière, tantôt m’inscitait à me pelotonner plus confortablement encore sous mes couvertures.

Mais ce jour là, je ne sais pas pourquoi, était l’un des rares jours où j’avais passé le pas, franchi la porte, et aventuré le boût de mon nez dehors.

Je dois bien le dire, j’avais pris toutes les précautions qui s’imposaient. J’avais, dans la main gauche, un grand parapluie transparent tout vieux, mais très résistant – pour la pluie – et, en même temps, – puisque j’avais réalisé que le parapluie transparent laisserait passer les possibles rayons du soleil, un gros linge humide posé sur la tête, me protégeant ainsi d’un risque d’insolation à mes yeux de l’époque non négligeable.

C’est ce jour là que la vie a commencé à être en mouvement. Ou plutôt, que j’ai commencé à être en mouvement dans la vie.

J’ai oublié quelque part mon parapluie et mon linge, et je ne suis jamais rentré de cette ballade. J’ai allongé mon pas, petit à petit, je me suis laissé gagner par le rythme, et maintenant, je cours!

Ou du moins, j’essaie de m’en convaincre, à chaque fois que je sens l’euphorie se dissoudre et laisser passer, même un peu, les relents de ma vie d’avant, chariant les prémices de la peur.

Comme il y a deux minutes, quand, arrivant dans ce nouvel endroit, que j’aurais du, que je devrais petit à petit devoir appeler ma maison, je me sens comme au pied d’un gigantesque défi à relever.

Il y a des gens partout. Je ne les connais pas. Il y a du bruit, des couleurs, de la lumière sur la couleur. Des choses que je n’ai jamaus vues, des gens qui parlent dans une langue qui n’est pas la mienne, et des échoppes dont je n’arrive même pas à déterminer la destination. Tout ça explose dans ma tête.

Très vite, j’ai besoin d’une pause. J’abandonne tout ça, un peu, le temps d’un café, un petit café trouvé au coin d’une rue, à laisser passer la vie, le temps d’être capable de me remettre en selle. Le temps de me sentir à l’aise, sur une petite table de bistrot qui, pour cette fois, fera office d’îlot à la dérive pour moi.

Peut-être qu’un jour, qui sait, quelqu’un se greffera à mon îlot, juste comme ça, comme on prend la dernière place à une table de bistrot – « ça ne vous dérangera pas si,…? » – et, je ne répondrai peut-être même pas, trop occupé à maintenir ma table droite, ma chaise tout près de la table, et mon petit noir assez en équilibre pour qu’aucune goutte ne tombe sur la jolie serviette blanche.

Je ne dirai pas non, je n’aurai pas le temps.

Et, je ne sais pas ce qu’on fait dans ces situations, sourire, parler du temps, ou bien s’ignorer – parce qu’il faut bien être deux, pour s’ignorer, finalement, et c’est déjà quelque chose – mais ce sera mon nouvel ailleurs.

J’ai toujours pensé qu’aller à la découverte d’une âme étrangère était plus aventureux que de prendre l’avion par dessus le plus gros des océans, et qu’une toute petite lucarne sur les pensées de son voisin en apprenait plus qu’un ticket de musée d’une ville joliment étrangère.

Et c’est pour ça que j’ai toujours évité soigneusement ces choses inimaginables. Mais qu’y puis-je si c’est par là qu’a décidé d’aller ma petite table de bistrot?

 

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