Le rêve de SAM

Sam est habile de ses mains. Il aime bricoler. Tous les matins, il se cache pour construire une cage à oiseaux car il n’a pas eu la franchise de l’avouer à sa mère. Et tous les matins, c’est le même rituel. En haut des escaliers menant au sous-sol, maman l’appelle : « Sam, Sam, où es-tu ? il est temps de partir ». « Je suis avec les lapins, je leur donne à manger ».  « Arrête de me raconter des histoires, il ne te faut pas une demi-heure pour leur donner des carottes et de l’herbe ». « Si, si, je surveille s’ils mangent bien. Y’a des jours où ils en laissent. Je dois trouver la bonne quantité à leur donner ». « Tu te moques de moi, Sam. Je t’ai à l’œil. Ne compte pas sur moi pour t’éviter de desservir la table et de ranger la vaisselle du petit déjeuner. Ce n’est pas parce que tu es un garçon que tu vas échapper à la corvée du matin. » Vite, vite, il est temps pour Sam de grimper dans la cuisine, car il sait que si sa mère se fâche, elle descendra dans son repaire. Et là, il n’aura pas le temps de cacher ses trésors, ses outils et le stock de petites branches qu’il s’est constitué depuis plusieurs jours. Sam y tient à sa cage. Il en rêve depuis des semaines, depuis qu’il a entendu les paroles de la chanson de Prévert* et qu’il a vu la mésange se poser sur la vigne vierge. Il veut lui donner des graines et de quoi faire son nid. Pour trouver son petit bois, facile à couper et à tordre, il a arpenté les chemins du bois, dernière la maison. Maman ne l’a pas su, car elle ne veut pas qu’il s’éloigne tout seul de la maison. Elle se méfie des ombres et des cris qui, parfois, percent les buissons et les bosquets. Elle n’aime pas l’automne avec la brume qui s’élève au dessus des champs, qui s’infiltre entre les habitations avec les odeurs des feuilles tombées et des champignons qui imprègnent les vêtements. A l’automne, elle renonce à se promener sur les chemins et s’enferme dans sa cuisine et son salon. « J’hiberne, je veille sur ma couvée » dit-elle. Mon plaisir, quand les journées sont courtes, c’est de cuisiner, de faire de bons petits plats pour ma maisonnée ». Sam, il aime bien les gâteaux et les compotes. Mais il préfère avant tout s’échapper. Cela ne lui dit rien de rester enfermé. Il veut voir voler les oiseaux, courir les chevaux et, qui sait, un cerf à la lisière de la forêt. Il veut s’en faire des amis. Sa préférée, c’est la mésange. Si elle aime sa cage, elle viendra peut-être le voir tous les jours, elle viendra peut-être un jour avec ses petits. Il l’imagine déjà, voletant autour de sa cage, se posant délicatement sur le rebord de la nacelle, hésitant, repartant et revenant. Il en est sûr, elle finira par venir tous les jours. Et tous les jours, il aura quelque chose à lui donner. Et peut-être que si le temps devient très froid, s’il fait une ouverture dans le cabanon, près du tas de bois, elle viendra s’y mettre au chaud et y passera l’hiver.

 

* Pour faire le portrait d’un oiseau (Jacques Prévert – 1945)

Pour faire le portrait d’un oiseau
Peindre d’abord une cage
Avec une porte ouverte
Peindre ensuite
Quelque chose de joli
Quelque chose de simple
Quelque chose de beau
Quelque chose d’utile
Pour l’oiseau
Placer ensuite  la toile contre un arbre
Dans un jardin
Dans un bois
Ou dans une forêt
Se cacher derrière l’arbre
Sans rien dire
Sans bouger…
Parfois l’oiseau arrive vite
Mais il peut aussi bien mettre de longues années
Avant de se décider
Ne pas se décourager
Attendre
Attendre s’il le faut pendant des années
La vitesse ou la lenteur de l’arrivée de l’oiseau
N’ayant aucun rapport
Avec la réussite du tableau
Quand l’oiseau arrive
S’il arrive
Observer le plus profond silence
Attendre que l’oiseau entre dans la cage
Et quand il est entré
Fermer doucement la porte avec le pinceau
Puis
Effacer un à un tous les barreaux
En ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau
Faire ensuite le portrait de l’arbre
En choisissant la plus belle de ses branches
Pour l’oiseau
Peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
La poussière du soleil
Et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été
Et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter
Si l’oiseau ne chante pas
C’est mauvais signe
Signe que le tableau est mauvais
Mais s’il chante c’est bon signe
Signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
Une des plumes de l’oiseau
Et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

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