Métro

Les jours s’en vont. Comment pourrait-il en être autrement ?

J’avais aperçu sa silhouette sur le quai lors de l’entrée en station du métro qui fonçait comme un bolide vers la Défense. A l’ouverture des portes, l’homme, plutôt jeune, posa un pied mal assuré sur le sol tout en observant les voyageurs alentour, comme pour se rassurer sur son existence. Il soupira avant de se résoudre à raconter son histoire. Il n’y avait plus de fatigue. Plus d’heures du jour ou de la nuit. Il n’y avait plus de sens parce que la nécessité pesait trop fort. En face de lui, une montagne qu’il s’éreintait, jour aprés jour, à déplacer jusqu’à l’épuisement. Je me disais cyniquement que les gens dans la détresse devaient eux aussi soigner leur apparence. Ou mieux chanter. Ou parler d’une voix plus chaude…pour arracher de la compassion à des voyageurs devenus insensibles. Qu’est-ce qui conduisait à cette infortune ? Etait-ce un destin ? Une conjonction d’évènements malheureux ? une statistique qui, à la manière d’un dé, affichait toujours le même numéro ? Ceux-là. Ceux là étaient des impalpables. Des oreilles qui n’écoutent plus le vent souffler. L’ombre d’une vie, notre ombre, mon ombre.

Il est des sentiments singuliers que vous ne voyez pas venir et qui vous plongent dans une grande tristesse des jours durant. Des sentiments dont vous essayez de vous protéger, conscient de la ligne de faille qu’il pourrait ouvrir en vous. Combien de fois me suis-je dit que ces accidents de la vie nous guettaient tous, que personne n’était à l’abri ? Comment dans ces conditions ne pas perdre une part de soi en passant son chemin ? Comment en sortir indemne ? Alors que ces pensée filaient, Georges, un collègue, me tapota sur l’épaule et me tira de ma prostration. Il me raconta son projet de voyage au Botswana, son désir profond de reconnexion au vivant. Le métro arriva à la Défense et vomit son flot de voyageurs vibrionnants. Je me sentais vide. Et dans les couloirs qui me conduisaient au T2, Direction Bezons, le souvenir de cet homme m’obsédait. Cet autre moi qui se débattait et déciderait finalement de jeter un voile sur ce qu’il ne voulait pas voir. « La lumière dorée des soirs de Jerusalem remontait en moi ».

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