Histoire d’A.

La première fois que je vous ai croisé, vous portiez ce grand manteau noir que vous ne quittiez jamais.
Votre écharpe semblait avoir été tricotée par votre grand-mère et votre bonnet vous tombait sur le front.
Vos yeux, ces deux billes noires incandescentes, ont attrapé mon regard. Depuis, je ne me lasse pas de les observer.
Elles donnent le ton de votre humeur, tantôt espiègle, tantôt grave, selon les jours et le temps qu’il fait.

De cette première rencontre me reste un bout de papier corné, où je vous invite à dîner, chez moi, le lendemain.
Je l’ai récupéré dans le fameux manteau noir que vous ne quittiez jamais.
Me revient en mémoire cette pensée saugrenue à l’idée de vous préparer un repas : Tu ne sais même pas cuisiner, m’étais-je dit.

Tant pis. La force de votre regard sur moi, cette envie de vous revoir avaient eu raison de mes piètres talents de cuisinière.

Le jour dit, vous étiez soudain apparu sur le pas de ma porte, un bouquet de fleurs un peu fanées dans les mains, des tulipes violettes si je me souviens bien.
Mon cœur battait la chamade et vos joues rosées témoignaient de votre émotion.

Vous êtes entré dans mon appartement et vous y avez pris toute la place.
De dîner, il ne fut pas question. Mon pot-au-feu, si amoureusement cuisiné, brûla dans sa cocotte dans un doux tintamarre, enveloppé d’une odeur forte de graillon.

Votre bonnet est aujourd’hui dans la commode de notre chambre, je vous ai racheté une écharpe et votre grand manteau noir a rendu l’âme.

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