Le cerisier était brûlant

1er août 1973 : le cerisier était brûlant. Elle ne s’en approchait plus. Elle prit une chaise du japon et vint s’asseoir à l’ombre de son bureau. Celui de son grand-père. Verdun le 10 juin 1916. Elle toussotait le temps était à l’orage et il n’y avait aucune jouissance à s’appuyer sur le pédalier. Elle s’est souvenue qu’il y avait des glaces dans le congélateur. Achetées il y a quelques années. Jamais dégustées. Il avait fait si froid des étés durant. Les fleurs de gavroche s’évanouissaient dans le vase de bric et de broc. Il lui avait offert un soir de mésentante. Ils étaient passés devant monsieur le curé sans s’arrêter. Elle n’était pas allée chercher sa robe blanche chez le blanchisseur. Elle n’avait rien à se mettre ce jour là. Les rideaux volaient tout seuls. Elle ne les comprenait pas. Tout était calme, luxe et volupté. Seules les mouettes piaillaient dans le ciel. Elle leur cria qu’il n’y avait pas de poissons ici et qu’il faudrait qu’elles rejoignent leur port d’attache. Le théâtre du désir l’a appelée pour jouer Ophélie. Elle n’a pas envie de mourir une seconde fois. Une fois c’est suffisant. Il faut la digérer la mort. Ca manquait de sel et de poivre. Son cercueil était trop petit son caveau trop grand. Il n’y avait personne à son enterrement. Elle a dû s’enterrer toute seule. C’était trop compliqué. Son grand-père est rentré de Verdun les guenilles frustrées. Il n’avait pas rencontré un seul boche. Que des rats dans les tranchées. Qui lui avaient mangé un orteil. Blessé de guerre blessé de tout. Dans l’ascenceur débridé le militaire ferma les yeux. Il ressentait le bonheur de vivre malgré l’absence d’orteil. Il appuya sur la gâchette. La porte s’ouvrit toute seule. Ce qu’il vit s’inscrivit durablement dans sa mémoire. Une plage de sable fin et blanc s’étalait à perdre de vue. Il retira ses chaussures. Il savoura le plaisir de sentir le sable sous ses pieds. Il se déshabilla totalement ce qui lui prit du temps. Il en avait des couches et des couches de vêtements sur lui. Quatre années de guerre c’est long et ça pèsent. Il était nu comme un ver de terre, bandait à qui mieux mieux, avançait sur la plage doucement lentement savourant la paix du sable. Sa future ancienne femme, celle qui allait être sa grand-mère à elle, la croisa sur la plage. Crac! sa carapace à elle tomba à ses pieds à lui. Tout de suite elle aima son sexe. On ne lui avait rien dit du sexe. Elle se doutait bien que dans le lit à deux places le soir ils ne tricotteraient pas. Mais quoi? Elle n’en savait rien. Par contre elle savait la vie des saints. Devant lui elle se déshabilla. Ce qui prit du temps. Il la regarda étonné. Une femme! Pendant quatre ans les femmes avaient déserté les tranchées. La guerre est au féminin sur le papier mais est au masculin dans les tranchées. Elle se retrouva nue toute étonnée de son corps. Ils se regardèrent tous les deux. Ce qui prit du temps. C’est grand un corps. Elle se soucia des blessures de l’homme. Il se fixa sur ses seins. Bien ronds. Bien charnus. Il décida d’y accoster. Leurs ombres sur la plage disparurent. Le sable devint plus chaud. Ils restèrent l’un en face de l’autre.

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