En arrêt depuis plusieurs minutes devant l’étal du charcutier sur ce marché parisien, il fixait en silence un alignement de côtelettes de porc. Elles n’étaient là, semblait-il, que pour lui. Silencieuses. La foule alentour ne parvenait pas à le distraire de ce qu’elles lui racontaient dans un bruissement de graisse chauffant doucement dans la grande poêle sur le feu de la cuisinière.
C’était il y a quelques années, bien avant que les drones n’envahissent le ciel au-dessus de la maison. Vous voyez, un temps que les moins de 20 ans n’avaient pas connu.
La grande cuisinière à bois, au centre de la cuisine, souvent nommée « piano », était l’instrument du concertiste : la Joséphine qui officiait chez les grand-parents.
Les côtelettes de ce temps étaient larges comme des mains de bûcherons, épaisses & grâces où il fallait. Elles étaient bordées de l’os que chacun aurait à cœur de bien nettoyer, après avoir demandé l’autorisation de le prendre avec les doigts. Nul n’oublierait de laisser de quoi donner du bonheur aux « Rudo » & la « Calinette », le couple de chiens ratiers.
Dans la poêle, la graisse chantait, dansait sur le feu. Joséphine dans un instant y rajouterait des pommes de terre du père Gustave.
Dans cette allée du marché, il était seul à attendre le bonheur multicolore qui allait exploser dans sa mémoire. Il revoyait aussi la descente de l’escalier d’où apparaîtrait Joséphine portant à bout-de-bras de beaux morceaux de lard & de saindoux.