La Lumière du Monde

Elise aurait voulu revenir au début. Au moment où tout était simple. Il fallait seulement suivre le fil du temps et non pas lui courir après. Ces instants de bonheur simple où elle ne savait rien encore. Rien de la perte. Rien de la haine. Rien de ce monde. Au début de toute cette histoire, elle n’était qu’une fille ordinaire et maintenant elle ne savait même plus qui elle était. Enfant. Adulte. Fille. Amante. Rien. Aucun mot ne faisait écho à ce qu’elle ressentait. Aucun mot n’effaçait plus ce que tout le monde répétait. Aucun mot ne l’aidait à comprendre ce qu’on attendait d’elle. Pour tous les autres, elle était une sauveuse, une héroïne. Elle ne le voyait pas. Elle ne le croyait pas. Elle souriait, elle parlait, elle participait. Mais au plus profond d’elle-même, elle s’éteignait. Elise disparaissait pour laisser la place à celle que tout le monde attendait. A celle que tout le monde croyait qu’elle était. Forte, indépendante, fonceuse. Celle qui a toutes les réponses. Celle qui peut tout combattre. Elle avait réussi à réduire ses peurs et ses doutes jusqu’à présent. Ils étaient cachés dans les coins sombres de sa conscience, soigneusement éludés. Seulement quand elle était seule dans le noir. Seule avec ses pensées. Seule sans rien pour la distraire, elle s’effondrait. La façade s’effritait et des craquelures s’échappaient cette idée toujours présente de ne pas être à la hauteur, d’être une imposture.

 

Pour échapper à ses sentiments qui s’entrechoquaient, Elise finissait toujours par sortir de sa tente pour aller marcher. Elle saluait les gens sur son passage, les gardes à l’entrée du camp puis s’échappait. A chaque fois, elle voulait partir, tout laisser derrière elle. Mais elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas abandonner ce monde qui comptait sur elle. Alors, encore une fois, elle s’assit juste à bonne distance et regarda le temps défiler sans essayer de l’attraper. C’était les seuls instants où sa vie ne ressemblait pas à une course effrénée. Les seuls instants où elle rêvait. Elle fermait les yeux et imaginait ce que serait sa vie si elle n’avait pas traversé le chemin. Si elle n’avait pas atterri ici. Et comme toujours une main finit par se poser sur son épaule. Ayana. La seule à voir plus loin que le façade. La seule à ne pas simplement voir le rôle mais aussi la personne. La seule à comprendre le poids des attentes et de l’espoir. C’était elle qui avait prophétisé tout cela. C’était finalement à cause d’elle qu’Elise se retrouvait à cette place aujourd’hui, mais elle ne pouvait pas lui en vouloir. Ayana s’assit à côté d’elle et posa sa tête sur son épaule. Elise passa son bras autour de sa taille et la serra contre elle. Elles ne parlaient jamais pendant ces instants. Elles se laissaient vivre tout simplement. Et c’était ces moments volés qui permettaient à Elise de ne pas s’éteindre, de ne pas sombrer sous le poids de tout le reste. Pour la première fois, elle vit l’ironie de la situation. Elise laissa alors échapper un petit rire nerveux. Ayana leva vers elle un regard interrogateur.

« C’est grâce à toi que ma lumière continue de briller, c’est drôle non ?!

–  Ne dis pas cela, répondit Ayana ne voyant pas ce qu’il y avait d’amusant. »

Ayana lui prit la main et se leva, obligeant Elise à la suivre. Elle se posta face au camp et lui dit :

« Tous ces gens sont là pour toi, ils croient en toi. Ne penses-tu pas qu’il serait temps que toi aussi tu y crois ?! »

 

Ayana laissa ses mots imprégnés la noirceur de la nuit puis elle se tourna vers Elise pour voir des larmes roulées silencieusement sur ses joues. Elle savait que ce n’était pas la réponse que la jeune femme attendait, mais c’était aussi la première fois qu’elle la voyait ouvertement exprimer ses doutes. Ayana n’avait pas pu laisser passer cette occasion. Elle aurait voulu qu’Elise puise voir ce que tout le monde voyait, ce qu’elle voyait. Elle essuya les larmes avec son pouce et força Elise à la regarder :

« Du chemin que personne n’emprunte sortira une jeune femme, sur sa peau seront gravés les astres formant notre ciel. C’est ainsi que vous reconnaîtrez la Lumière du Monde …

–  Elle viendra sauver ce monde de sa destruction, finit Elise, je la connais par cœur. Mais je ne suis toujours pas convaincu que c’est moi. »

Ayana révéla l’épaule d’Elise et traça de ses doigts les constellations. La parfaite réplique de la danse des deux lunes.

« D’où t’es venue l’idée de ce tatouage, demanda Ayana.

–  Je ne sais pas, c’est quelque chose que je dessinais tout le temps, répondit Elise ne comprenant pas la question. »

Ayana les emmena alors un peu plus loin dans la forêt près du canyon. Puis elle regarda vers le ciel.

« Regarde le ciel ce soir. Et pour une fois, regarde vraiment. »

Elise s’exécuta. Elle vit des étoiles comme chez elle. Quelques nuages. Et les deux lunes. C’était toujours étrange pour elle de voir deux lunes dans le ciel. Cette nuit, elle se faisait face. Le bas du croissant de l’une sur la même ligne que le haut du croissant de l’autre, et au milieu une étoile brillait beaucoup plus que toutes les autres. Elise en eut le souffle coupé. C’était l’exacte réplique de son tatouage.

« Com – Comment ?, demanda-t-elle.

–  On dit que c’est l’union des deux lunes sous le regard bienveillant de l’étoile la plus brillante qu’est né ce monde. Comment aurais-tu pu connaitre le symbole de cette histoire si tu n’étais pas Lumière du Monde ? Regarde ce que tu as accompli depuis que tu es ici. Tu as survécu à une attaque des Mangeurs de Soleil, tu as levé une armée, tu as redonné de l’espoir à beaucoup de gens. Et tu marches actuellement pour combattre la Noirceur du Monde. »

 

Elise regarda alors Ayana qui lui souriait. C’était vrai qu’elle avait accompli tout cela, mais elle avait juste essayé de survivre, puis elle avait suivi le mouvement et avait fait ce que tout le monde attendait d’elle. Mais à présent sous la lumière des deux lunes, la seule qui éclairait encore ce monde, elle se demandait si Ayana n’avait pas raison. Elle n’était toujours pas sure d’avoir la force de combattre la Noirceur du Monde mais elle voyait enfin ce dont elle était vraiment capable. Elle voyait cette femme forte et compatissante qui ne cesserait jamais de se battre.  Elle voyait enfin que sa place était ici. Dans ce monde en perdition. Entourée de ces gens qui croyaient en elle. Dans ce monde où elle avait trouvé la lumière de sa vie. Elle détacha son regard des deux lunes et sourit à Ayana.

« Tu as raison. Je ne sais pas si je peux ramener la Lumière mais je dois essayer. Je dois tout donner pour sauver ce monde qui est désormais le mien. »

Ayana l’enlaça pendant quelques instants, puis elle se tendit. Elise se recula pour l’observer et vit que son visage s’était fermé. Ayana s’éloigna et lui dit :

« Tu es maintenant prête à entendre la suite de la prophétie : Pour cela elle devra abandonner tout ce qu’elle est pour annihiler la Noirceur de Monde et faire à nouveau briller la Vie. »

Abandonner tout ce qu’elle était. Elise ne savait pas quoi en penser. Elle ne voulait pas voir disparaître l’essence même de ce qu’elle était, mais à présent elle ne pouvait pas non plus abandonner le combat. Elle s’approcha d’Ayana et lui murmura :

« Je ne sais pas ce qui va se passer, amis ce que je sais c’est que tu n’y es pour rien. Tu n’as pas créé cette prophétie, tu n’es que e messager. Et si je dois tout abandonner pour que vous vivez, soit je le ferais.

–  Et tu veux me faire croire que tu n’es pas la Lumière du Monde, rétorqua Ayana la voix rauque par l’émotion.

–  Viens, rentrons, c’est bientôt le matin. »

 

En effet, les deux lunes se couchaient à l’horizon, amis le matin n’était plus le même. Pas de lueur, pas de chaleur, juste une éternelle obscurité. C’était la première fois qu’elles parlaient, échangeaient pendant ses balades nocturnes. C’était aussi la dernière fois. Aujourd’hui tout se jouait. Aujourd’hui déterminait qui de la Lumière ou de la Noirceur gagnerait. Elise ne savait pas contre qui elle se battait, mais cela ne l’empêcherait pas de se battre. Et cette nouvelle confiance en elle lui donnait un peu d’espoir pour la première fois depuis que le chemin lui avait fait traverser le mur qui sépare les mondes. Là-bas, elle n’était qu’une parmi tant d’autres. Ici, elle était la Lumière du Monde. Mais était-elle seulement  la Lumière de ce monde ou aussi celle de tous les autres ? Pouvait-elle en sauvant ce monde aussi sauver celui d’où elle venait ?

 

Face au fleuve rouge, elle pensait à ce qu’elle avait gagné et perdu depuis qu’elle courait après le temps. Elle avait bien plus gagné que perdu. Elle avait aussi bien plus à perdre. Mais quoiqu’il arrive, elle savait qu’elle n’était plus seule. Ayana se positionna à ses côtés et derrière elles, tous ces gens qui croyaient. Ils étaient prêts. Prêts à tout. Prêts à défendre leur monde. Prêt à la suivre jusqu’au bout. Elle marcha alors vers son destin. Espérant que la Lumière serait plus forte que la Noirceur.

 

Au cœur d’un combat qui n’avait plus de commencement ni de fin, la Lumière rencontra enfin la Noirceur. Il n’y avait pas de coups, ou de blessures. Le combat était tout autre. Pour gagner, il leur faudrait y laisser tout leur être. Tout pour régner sur le cœur des hommes. C’était ainsi. L’espoir contre le désespoir. La douleur contre le réconfort. La joie contre la peine. A chaque tentative son contraire, jusqu’à ce que l’un s’épuise et disparaisse. Derrière le rideau d’eau que seules la Lumière et la Noirceur peuvent traverser, se jouait le destin du Monde. De celui-ci et peut-être de tous. Beaucoup espérait que la Lumière l’emporterait et ce fut le cas. La Lumière jaillit enfin pour illuminer le Monde, faire renaître le Soleil et rendre l’espoir aux gens.

 

Elise vit la Lumière s’échapper de son être. Elle abandonna tout pour le donner au monde. Mais que resterait-il d’elle à la fin ? Était-elle la Lumière du Monde ou contenait-elle la Lumière du Monde ? Existait-il encore une vie pour elle après tout cela ou devait-elle disparaître pour la vie des autres ? Ayana se posait les mêmes questions. Partagée entre la joie de voir la Lumière se répandre et la peine d’imaginer un jour perdre Elise. Pourrai-t-elle continuer sans la lumière de sa vie ? Y avait-il un après la prophétie pour elles deux ? Elise sentit les derniers rayons quitter son être, son corps et elle attendit la suite.

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