La recette du bonheur

Dans ma main, il y avait un papier blanc. Un petit papier carré, déchiré sur un bord. Je ne savais pas très bien pourquoi je l’avais sorti de sa cachette ce matin. Mais depuis, il ne m’a pas quitté. D’ailleurs, pourquoi l’ai-je gardé en premier lieu ? Je me posais la question dès que je le voyais. Et je me la posais à cet instant, assise sur ce banc face à la mer. Les vagues claquaient légèrement sur les rochers, le vent faisait doucement balancer les feuilles des arbres et moi je tenais ce petit papier dans ma main. Je le regardais avec insistance comme si il allait me livrer tous ses secrets, ou tous les miens. Depuis le temps, je devrais savoir que cela ne marchait pas ainsi. 30 ans que ce papier me suivait et il restait éternellement blanc. Peut-être un peu jauni par le temps, mais désespérément vide. J’avais voulu le jeter tellement de fois mais jamais je n’avais pu. Les mots résonnaient toujours dans ma tête. « Un jour, ce petit papier te livrera la recette du bonheur. » J’avais ri face à ce vieux monsieur. Je fermai les yeux et laissai les souvenirs me gagner tout en m’assurant que le petit papier ne s’envolerait pas.

Il y avait 30 ans, par un après-midi ensoleillé, je m’étais assise sur un banc semblable à celui-ci, mais au combien différent. Dans un petit parc un peu éloigné de l’agitation. Le regard vide, la tête remplie et le cœur en miette, je m’étais assise à côté de ce monsieur sans y faire attention. Je ne pleurai pas. Non pas parce que j’en avais fini, mais je n’avais juste plus rien à pleurer. Je ne me souvenais même plus pourquoi mais ma vie m’avait semblé insignifiante, banale et triste à mourir. J’étais en train essayé de m’imprégner de calme de ce lieu pour retrouver un semblant de paix quand une main s’était posée sur la mienne. J’avais levé les yeux pour rencontrer le visage accueillant de cet homme. Les cheveux gris et le regard doux, il avait dégagé comme un sentiment d’intemporalité et de paix. Je l’avais étudié un instant puis sa main posé sur la mienne puis à nouveau son visage. Il m’avait souri avec bienveillance. Tout dans son être m’avait apaisé. Je lui avais lancé un sourire timide. Puis il s’était détourné de moi pour admirer les passants, mais sans jamais lâcher ma main. J’avais alors fait de même. A la fin de l’après-midi, il avait lâché ma main et s’était levé. Puis il m’avait tendu ce bout de papier en prononçant cette phrase : « Un jour, ce petit papier te livrera la recette du bonheur. » Je l’avais regardé amusé, mais j’avais quand même tendu la main pour le remercier de cet après-midi. Je m’étais dit que je le jetterais ensuite, mais je ne l’ai jamais fait.

Un nuage passa devant le soleil et je perdis sa chaleur. Je rouvrir les yeux, tirée de ma rêverie et de mes souvenirs. Je regardais droit devant, en suivant les courbes des vagues jusqu’à l’horizon. J’attendais je ne sais quoi. Peut-être un signe, mais un signe de quoi ? Je crois qu’en fait j’attendais que quelqu’un me dise quoi faire et où aller. J’étais fatiguée de devoir décider pour moi-même. Et en même temps, je savais que jamais je ne laisserais quelqu’un me prendre cette liberté. Celle de pouvoir errer. Celle de choisir mon propre chemin. Celle de ne pas savoir. Mes doigts glissement alors doucement sur les lettres. Sérendipité. Je l’avais gravé à même ma peau il y a longtemps. J’aimais toujours sa sonorité et sa signification. C’est bien pour cela que jamais personne ne me dirais quoi faire. C’était à moi de trouvée au détour d’un chemin, d’une discussion, d’un sourire. Alors pourquoi attendais-je ? Le nuage disparut enfin et le soleil me chauffa à nouveau. Mais qu’attendais-je ? Le petit papier dans ma main et la chaleur me rappelèrent la chaleur de cette main qui ne m’avait pas lâché pendant un après-midi. Le regard perdu vers l’océan, je repassais sans cesse cette phrase dans ma tête. Puis je me laissais aller à penser à ma vie depuis ce point. Les souvenirs et les émotions allaient et venaient comme la marée sur la plage. Et tout à coup, je sus. Je regardais le petit papier, et oui le vieux monsieur avait raison. Il y avait la recette du bonheur sur ce carré blanc. Je restais face à la mer à savourer ma réalisation. Elle aura ainsi toujours un goût de sel et de soleil. Puis quand le soleil commença à décliner, j’entrepris de rentrer. J’étais attendue.

Je me levais et rangeais le petit papier soigneusement dans ma poche. Je repris le sentier qui mène à la plage et doucement je longeais la mer. Lorsque j’atteignis le ponton, je la vs. Une jeune femme d’une vingtaine d’année, les pieds dans le vide touchant légèrement l’eau, et les épaules baissées. Je m’approchais d’elle à pas lents. Elle me rappelait moi à son âge. Je posais doucement une main sur son épaule. Elle sursauta et essuya rapidement ses joues. Je lui souris comme m’avait souri le vieux monsieur et restais un peu avec elle. Je sentais le petit bout de papier dans ma poche. Il me brulait la peau, comme pour me dire quelque chose. En regardant à nouveau la jeune fille, je compris. Il me disait que je n’avais plus besoin de lui. J’avais compris ce qu’il y avait à comprendre. Je le sortis et le contemplais une dernière fois. Je l’aimais ce bout de papier, et je m’en rendais compte pour la première fois. Je retirais ma main de son épaule et elle se tourna vers moi. Je lui souris à nouveau et lui tendis le carré blanc un peu jaune, en lui répétant cette phrase : « Un jour, ce petit bout de papier te livrera la recette du bonheur. » Elle écarquilla les yeux, mais comme moi des années auparavant elle prit le morceau de papier. Je posais une dernière fois ma main sur son épaule puis partis. Je n’avais jamais été aussi légère. Je savais enfin, même si au fond de moi je l’avais toujours su. Je savais mais surtout je ne l’avais pas gardé pour moi. J’avais hâte de rentrer.

J’avais hâte de rentre mais je ne me pressais pas pour autant. Je voulais savourer ce moment encore un peu. Je savais qu’une fois à la maison je me retrouverais à nouveau happer par la vie et le quotidien. Mais ce n’était pas grave, je l’aimais ce quotidien. Ce matin, j’étais partie en me disant que quelque chose manquait. Et ce soir, je rentrais en sachant que la seule chose qui me manquait avait été la connaissance. Non pas celle en général, mais celle de mon propre bonheur. Je ne savais simplement pas que j’étais heureuse. J’avais toujours su reconnaitre les moments de bonheur parmi les autres. J’avais toujours su les savourer. Mas ce que j’avais de faux était qu’ils n’étaient pas des instants de bonheur dans un océan de tristesse. En réalité, ma vie était un océan de bonheur où parfois se perdaient des instants de malheur. Ma vie n’était pas parfaite et tant mieux. Je haïssais la perfection, où plutôt cette recherche incessante. Parce qu’en vrai, la perfection n’a pas de réalité. Rien ni personne n’est parfait alors à quoi bon perdre son temps et sa vie à atteindre cette perfection. Il est important de chercher à changer, à s’améliorer. Il est important de réfléchir sur soi-même et son monde. Mais la perfection, à quoi bon courir après une chimère ? En pensant cela, j’atteignis le portail de la maison. Tellement belle dans son imperfection.

Tout le monde nous disait de la repeindre, ou de réparer le banc, ou encore de huiler le grincement agaçant de ce portail. J’avais toujours empêché ma compagne de la faire et aujourd’hui je savais que j’avais eu raison. Cette maison, elle est comme nous et comme notre bonheur. Elle se tient debout fièrement malgré les intempéries et les blessures. Je savais aujourd’hui que comme nous elle braverait les tempêtes pour ne jamais abandonner.

Je poussais le portail. Le grincement réveilla le chat qui vint se frotter à mes jambes. Je fis le tour de la maison pour admirer la vue, la vie. Ma vie. Je lâchais le chat qui alla se réfugier dans la maison. Puis une goutte s’écrasa sur mon front. Je souris. J’aimais la pluie. Elle m’agaçait parfois, mais je ne pouvais cesser de l’aimer. Je restais sous la pluie fine à savourer ce bonheur imparfait. Le petit bout de papier me manquait mais je savais que j’avais eu raison. Je me dis alors que je devrais le commémorer comme tout le reste. A même ma peau. Il y avait tout sur ma peau. Qui j’étais. Mes joies. Mes peines. Il suffisait de savoir comment la lire et ma peau pouvait tout dire de ma vie. Il y avait ce qu’elle-même y avait gravé et ce que j’avais choisi d’y graver.

Lorsque je sentis mes vêtements me coller à la peau, je décidais de rentrer. Dans la maison, je la retrouvais dans le canapé à lire en m’attendant. Je m’approchais et l’enlaçais. Elle sursauta en me disant d’aller me changer avant toute chose. Je ne bougeais pas. Elle soupira mais ne se débattit pas. Je déposais un baiser sur ses lèvres et lui souris. Elle m’observa un instant puis me demanda pourquoi je semblais si heureuse. Je ne savais pas encore lui expliquer, alors je souris simplement et partis me changer.

Je savais que je ne devais plus jamais me défaire de ce bonheur et de cette connaissance. Tous deux devraient à partir de maintenant nourrir ma vie. Je contemplais chaque pièce de la maison avec un nouveau regard. Je m’imaginais un futur peuplé de rire et de joies. Et surement de peines aussi. J’étais heureuse mais réaliste. Néanmoins, je décidais de ne plus jamais laisser les douleurs submerger mon bonheur.

Dans la chambre, je me changeais. J’aimais la pluie, mais elle ne me le rendait pas vraiment parfois. Sur ma table de nuit, j’aperçus la boite qui renfermait le bout de papier blanc jusqu’à ce matin. Je passais mes doigts sur le bois et décidais de la laisser là, même vide. Et surtout vide en fait. Pour ne pas oublier. Le vide, le blanc. C’était cela le secret que le vieux monsieur avait voulu m’enseigner. Il y avait la recette du bonheur sur le carrée car il n’y avait rien. Il n’y a pas de recette, pas de secret. Simplement de savoir apprécier ce que l’on a.

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