Le syndrome de la page blanche

« Tout au fond de l’eau, l’épave du bateau reposait. Personne ne la voyait. Personne ne connaissait son existence, mais Alice savait. Elle se souvenait des histoires de sa mère. Le naufrage du Soulier de Verre. Un magnifique bateau qui parcourait les mers. »

« Noël. J’adorais cette époque de l’année quand j’étais enfant. Il y avait dans l’air comme un goût de fête. J’avais l’impression que tous les gens étaient heureux. Que ma famille n’était que joie d’être ensemble. J’ai toujours aimé les cadeaux. C’est vrai qui ne les aime pas, mais le plus important n’était pas là. Non, ce qui comptait c’était de voir tout le monde réunit dans la maison. Entendre les rires, les jeux. Et cette bonne odeur de pain d’épice, de clémentine. Et cette attente. Attendre Noël, le préparer, c’était un avant-goût de ce qui allait arriver. Choisir le sapin. Ressortir les décorations du grenier. Et ensemble, transformer la maison. Tant de souvenirs d’enfance qui ne disparaissent jamais. Pourtant aujourd’hui, il y a comme un goût amer. Une ombre au tableau. Parce que ce n’est plus tous ensemble. Parce que chacun force les sourires. Il y a toujours la joie, mais plus l’innocence de l’enfance. Cette innocence qui nous permet de voir le monde avec un sourire. Je souris toujours, c’est ma nature mais je ne me voile pas la réalité. Chacun est partit petit à petit. Mon père physiquement quand il a pris ses valises pour quitter la maison. Mon frère psychologiquement quand il s’est enfermé en lui-même. Il ne reste plus que ma mère et moi. Mais le goût de Noël n’est plus là. Comment continuer à croire qu’il y a encore quelque chose à fêter ? Faire semblant pour le bien de tous, mais au fond ne plus savoir comment accorder encore du sens à tout cela. Pourtant au fond de moi, je sais que je n’ai pas perdu cette âme d’enfant. Celle qui s’émerveillait devant les illuminations. Celle qui voulait rester éveillée le plus longtemps possible pour en profiter au maximum. Celle qui fait tout pour combler sa famille de petites attentions. Il y a encore l’espoir de voir ceux que j’aime réunit autour d’une table pour fêter Noël. Et il y a la réalité. Parce que encore cette année, il n’y aura pas tout le monde. Mais peut-être n’est-ce pas grave. Peut-être y-a-t-il d’autres façons de fêter ? Parce que même sans tout le monde, cette année il y a cette femme qui me pousse en avant. Avec qui pour la première fois, il y aura 24 et 25. Qui me redonne envie de décorer la maison, de faire un sapin. Qui me donne l’impression que Noël peut encore avoir du sens. Que la logistique et la distance ne gâchent rien. »

Marie souffla et regarda dehors un instant. Il y avait un léger manteau neigeux dans le jardin et elle distinguait la lumière clignotante des guirlandes du voisin. Puis elle regarda l’écran et souffla une nouvelle fois. Dans sa tasse, le thé était froid. Un peu comme ses doigts maintenant qu’elle y réfléchissait. Elle souffla doucement dans ses deux mains et se leva pour remettre une buche dans le feu. Au passage, elle attrapa le plaid du canapé et remit de l’eau à chauffer. Puis, Marie se rassit à son bureau et relut ce qu’elle venait d’écrire. Les trois premières phrases parlaient d’un bateau. Pourquoi pas ? Il y avait peut-être quelque chose à en faire. Et puis paf Noël. Pourquoi ? Comment ? C’était le grand mystère de la journée. Ou peut-être pas se dit-elle quand la pièce changea à nouveau de couleur. C’était la faute de ces satanées guirlandes clignotantes. La bouilloire siffla à cet instant. Marie se leva à nouveau et remplit sa tasse. Elle ne retourna pas à son bureau mais se colla devant le feu et laissa la chaleur apaiser ses pensées. Elle adorait se mettre ainsi dos aux flammes et les laisser réchauffer son être. A chaque fois, elle entendait encore sa grand-mère lui dire de ne pas approcher autant ses fesses de la vitre où elle allait se brûler ou faire fondre son jean. Quand elle avait cherché à acheter une maison, un des critères principaux avait été la présence d’une cheminée. Ouverte de préférence ou alors avec une vitre qui s’ouvre vers le haut. Elle qui avait toujours grandi avec les feux de cheminée ne s’en lassait pas. L’allumer, le regarder, se réchauffer et cette odeur si particulière. Marie revint au  présent quand la lumière changea à nouveau. Elle abandonna la chaleur bienveillante du feu et se rassit à son bureau. Elle sentit cette brulure passagère due à la chaleur emmagasinée dans le tissu de son pantalon. Puis, elle s’enroula dans le plaid et fixa son ordinateur. Noël, c’était vraiment pas cela qui allait l’aider. Elle adorait cette fête et elle attendait avec impatience de pouvoir recevoir tout le monde cette année. Mais à moins d’écrire un conte ou un très mauvais téléfilm, Noël ne l’aidait pas à écrire une nouvelle histoire. Et puis à quoi bon ressassé tous ces sentiments passés. Marie but une gorgée de thé et regarda dehors. C’était vraiment une belle vision que ce paysage blanc. Elle avait l’impression de ne plus être chez elle. Dans un pays nordique peut-être et à tout moment, elle s’attendait à voir un traineau passé. Et voilà encore Noël. Au lieu de penser grandes étendues blanches on ne sait où, elle avait pensé gros bonhomme en rouge avec ses rênes. Il fallait qu’elle se remette à écrire parce qu’il ne lui restait plus que deux heures avant que tout le monde ne revienne des courses et elle avait décidé de mettre ce temps à profit.

Marie posa sa tasse à côté de l’ordinateur et remit ses doigts sur le clavier. Elle était prête. Maintenant, il faisait chaud à nouveau, elle n’avait plus soif. Elle était prête à écrire. Prête oui, mais écrire c’était moins sûr. Ses doigts sur le clavier étaient immobiles et son cerveau blanc. Alors, elle coupa et colla le texte sur Noël dans une autre page. Même si elle ne le trouvait pas extraordinaire et qu’elle ne s’en servirait surement pas, elle détestait perdre des textes. Elle l’enregistra en l’intitulant « Bavardages de Noël », puis retourna sur la page précédente. Il ne restait plus que quelques lignes à propos d’un bateau. Le Soulier de Verre. Mais d’où cela venait-il ? Ah oui, le livre qu’elle était en train de lire. Les aventures de trois princesses. Blanche-Neige. La Belle au Bois Dormant. Cendrillon. Dans celui-ci, elles partaient à la poursuite d’une sirène qui avait blessé la reine. Lirea. La couleur de la pièce changea encore et Marie sortit de sa rêverie. Maintenant, elle avait envie de s’asseoir au coin du feu pour lire la suite. Mais elle résista. Elle avait décidé d’écrire, pas de lire. Bon pas une histoire de princesses du coup. Peut-être une histoire de trésor au fond de la mer. Un naufrage avec une histoire de famille, peut-être d’amour. Et maintenant, c’était le Titanic. Marie reprit son thé et but la moitié de la tasse comme pour se donner du courage. Elle détestait le syndrome de la page blanche. Rester à fixer le vide, les doigts en l’air en attendant un signe, une idée.

Elle aimait cette histoire de bateau. Bon le nom peut-être pas. Et si elle mettait des pirates au lieu des princesses. Pourquoi pas. Mais Alice venait d’une époque actuelle. Comment se retrouverait-elle sur un bateau avec des pirates ? Peut-être un voyage dans le temps ou non … Miaou. Marie sursauta soudain au son et à la présence d’une boule de poil sur ses genoux. Et voilà sa belle idée envolée sans qu’elle ait eu le temps de l’attraper. Elle aurait voulu être en colère mais son chat se frotta contre elle en ronronnant. Elle le caressa doucement en attendant qu’il s’installe confortablement. Pour une fois au moins, ce n’était pas sur le clavier de l’ordinateur ouvrant on ne sait comment la barre de code de la page. Elle relut pour la nième fois les quelques phrases en essayant d’attraper à nouveau cette idée importante. Donc pas une histoire de famille. Pas un voyage dans le temps, mais … Marie n’arrivait pas à revenir sur le chemin de l’histoire qui avait commencé à se former. Elle commença alors à reformuler les premières lignes.

« L’épave du bateau reposait au fond de l’eau. Personne ne la voyait. Personne ne la connaissait, mais Alice savait. »

Marie effaça l’histoire de la mère, puisque ce n’était pas une histoire de famille. Mais comment saurait-elle alors ? Raison naturelle ou surnaturelle ? Marie opta pour le surnaturel cela lui ouvrait plus de possibilités. Elle décida de décrire le navire pour se laisser un peu de temps.

« Alice se souvenait de ce navire d’un autre âge. Sa coque en bois et ses voiles d’un blanc étincelant. Sur sa proue se tenait fièrement une sirène sensée les protéger. Alice ferma les yeux et sentit les embruns sur sa peau, le souffle de vent dans ses cheveux et les cris de l’équipage. Elle se revoyait sur le pont à s’affairer avec tout le monde. C’était tellement réel comme si elle l’avait vécu. Et c’était pour cela qu’elle devait retrouver l’épave du Soulier du Verre. »

Vraiment, Marie n’arrivait pas à se faire à ce nom. Il lui faudrait en trouver un autre, mais elle ne pouvait pas y penser pour l’instant. Elle essayait toujours de rattraper cette idée sournoise. En résumé, Alice a vécu sur ce navire ou croit l’avoir fait et elle veut prouver que c’est le cas. Mais comment cela avait-il pu être possible ? Marie était frustrée. Elle avait l’impression que la réponse était là devant elle mais il y avait comme un brouillard qui l’empêchait de la voir. Et elle ne pouvait pas se lever pour reprendre de l’eau puisque le chat s’était endormi sur ses genoux. Alors, elle laissa son regard dérivé vers la fenêtre. La nuit avait commencé à tomber et la neige reflétait la lumière colorée des guirlandes. La lune diffusait  timidement sa lumière aux étoiles qui l’accompagnait. C’était un décor de rêve. Mais oui voilà ! Un rêve. Marie avait bondi à cette pensée, comme pour être sûre de bien l’attraper cette fois-ci. Le chat lui aussi avait fait un bond pour filer dans la pièce. Marie se rassit pour enfin vraiment commencer à écrire. Elle posa ses doigts sur le clavier quand la porte s’ouvrit et elle entendit :

« On est rentré. »

Zut !

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