Un jour pas comme les autres

Trois secondes avant le coup de fil, elle faisait le ménage : secouer la couette dans les draps tout propres qui sentaient bon la lessive, passer l’aspirateur, la serpillière, faire la poussière par-ci, par-là, la chasser dans les moindres recoins. Elle n’aimait pas les moutons ni les vrais ni ceux de poussière. Les fenêtres étaient grandes ouvertes, ça renouvelait l’air comme ça faisait danser la poussière. « Échappe-toi, sors de chez moi » chanta-t-elle en rythme avec la musique à fond dans les oreilles.
Trois secondes avant le coup de fil, elle avait les mains pleines de mousse, frottait une assiette, une fourchette, une casserole. Puis, dans la valse commencée de bon matin, tout se figea soudain. Un bruit, un son qu’elle n’attendait pas. Une sonnerie avec un bruitage de vagues qu’elle ne voulait plus. Elle s’approcha lentement en s’essuyant les mains. Plus que trente-huit minutes avant l’annonce des résultats. Il était trop tôt pour cet appel. Numéro masqué…Elle n’arrivait pas à se décider à décrocher. Puis la curiosité l’emporta.
– Allô, dit-elle d’une voix encore enrouée.
Silence.
– Allô, dit-elle un peu plus fort.
Silence.
Elle raccrocha.
Il se réveilla à 7h59. Trop tard pour attraper le train de 8h15. Tant pis, s’était-il dit, je prendrai celui de 9h13. C’était le jour de son anniversaire. Il avait conscience d’avoir perdu un peu d’innocence, en plus d’avoir raté son train, mais aussi d’avoir gagné un peu de sagesse. Plus de coups de poing sur le réveil fautif du retard. Plus de gros mots ni de noms d’oiseaux qui résonnent dans la chambre. Il était en retard. Et alors ? Il ne sera pas agglutiné dans les transports pour une fois.
Il se leva tranquillement, resta quinze bonnes minutes sous la douche pour se réveiller en douceur. Il ne parlait pas tout seul comme il le faisait chaque matin pour remplir le vide. Après s’être habillé soigneusement – il devait, selon lui, au moins un jour par an, se sentir beau et bien dans sa peau -, il prit ses clefs, son téléphone qu’il glissa dans la poche arrière de son pantalon. Il ne se rendit pas compte que son téléphone recomposait le dernier numéro.
Dans le miroir de l’ascenseur, il se recoiffa rapidement et constata avec stupeur et fierté qu’il ressemblait de plus en plus à la photo de son grand-père. Un homme dont il fallait se souvenir, lui disait sa mère. Même si ce n’est juste que d’un petit détail comme le bruit de ses chaussures sur le parquet ciré.
Il baissa les yeux et, surpris, il avait mis des baskets aujourd’hui. Elles ne feront pas le même bruit sur le parquet, c’est sûr.
Il devait arriver à 13h30 mais y sera sûrement à 14h30, vu le réveil, l’horaire du train, la routine chamboulée.
Il prit son téléphone dans la poche pour prévenir de son retard. Sur l’écran, appel en cours, Maman…

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