Comme terrassé par l’usure de tant d’années passées à bourlinguer de vallées en sommets enneigés, de déserts en cités surpeuplées, de paysages ruraux en zones industrielles dévastées, le vieux moteur ralentit, hoqueta, puis s’arrêta net. Jean et Thérèse furent brutalement projetés en avant vers le pare-brise souillé de moustiques écrasés. Ils se retinrent de justesse au tableau de bord sali et usé par toute une vie de recherches fébriles de la carte Michelin, du mouchoir ou de la lampe de poche.
Ils se trouvaient au carrefour inconnu de deux routes de campagne, entre des talus bien fauchés où rien ne semblait vouloir faire signe.
Tû ! Tû ! fit la voiture comme pour se rappeler à la mémoire de ses deux passagers interloqués, sidérés par cet arrêt subit du défilement engourdissant de l’horizon monotone. « Il faut rallumer le moteur… » dit Jean. « – Si c’est ça que tu veux… » lui répondit Thérèse d’une voix atone. Elle fit semblant de farfouiner autour du levier de vitesses sur la plage encombrée d’objets hétéroclites, attendant la réponse de son compagnon de route. Mais Jean se taisait. Il semblait à moitié endormi, hébété. « Veux-tu ? » « – Ce sera comme tu veux toi » répondit-il lentement. Thérèse explosa : « Mais bon sang, fais quelque-chose, cette fichue bagnole n’a même pas de starter ! »
Jean se contenta d’allumer la radio. Tout doucement, comme une farandole, une chanson se déroula dans l’habitacle: « Veux-tu raboter ma serrure ? Mon diable, mon yoyo, je t’ai bien vu courant à ma traine. Pour toi je lèverai la cuisse. Je serai ta Pompadour, ton aventurière. Et si tu n’es pas qu’un simple beau-parleur, ensemble, nous trouverons la clé, la clé des champs ! »
Tû, Tû ! fit encore la voiture et dans cette turpitude, soudain le moteur émit un grognement et puis démarra. – Aaaaaahh, s’exclamèrent d’une même voix Thérèse et Jean lorsqu’enfin par les cases des fenêtres embuées de la vieille guimbarde ils virent la ligne claire au loin se remettre en mouvement.
Sofiq 01 /02/2018 L’Atelier Buissonnier.
