Dents blanches

Il fermera les yeux et ouvrira la bouche, grand. C’est comme ça qu’il fait chez la dentiste. Ça peut faire mal et elle ne le prévient pas. C’est ça qu’il lui reproche. Si elle le lui disait, il se détendrait. Elle ne le lui dira toujours pas. Il le lui a déjà demandé, elle a répondu « OK, pas de problème« . C’était un « oui » qui disait « non ».

Il aimerait changer de dentiste mais c’est aussi peu probable que d’affirmer que « les cocottes étaient heureuses avant l’arrivée des Américains ». Dans la salle d’attente, un reportage lui avait inspiré cette pensée. Ça le distrait pendant qu’elle farfouille dans sa bouche. Ça n’a pas l’air commode. Jusqu’ici, pas de douleur. Cela lui est déjà arrivé d’être chez la dentiste, sans souffrir. Le plus souvent, c’est après des piqures qui, elles, font mal, ces piqures qui vous laissent la joue enfarinée, de travers. Ce n’est pas le moment d’entreprendre une fille dans la rue. Elle le croirait débile mental, attardé ou retardé ou décalé, le genre qu’on écoute par pitié, qu’on n’ose pas envoyer sur les roses. Elle écouterait poliment, les yeux ronds, essayant de comprendre de quoi il retourne. Puis, elle regarderait sa montre et s’écrierait « oh la la ! je suis en retard ! et disparaîtrait. Elle ne dirait pas en retard pour quoi. Il sait que c’est un retard pour rien. Il avait cru, un temps, que ses dents toutes reblanchies, feraient de l’effet.

Il habite maintenant dans les beaux quartiers, près de son travail. Dès qu’il peut, il prend le tramway et va se mêler au tout-venant comme lui. Maintenant que ses dents de devant ont été remplacées, personne ne le remarque plus.

Ce contenu a été publié dans Atelier Papillon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire