Journée historique

C’était une sale journée. Une journée grise, marron, noire, nuageuse, boueuse, charbonneuse. Le tonnerre grondait, le ciel pleurait à seaux. Un orage impressionnant comme on n’en voit qu’en haute montagne. Les abeilles hibernaient et on mangeait, près du feu de la cheminée, sur une tranche de pain épaisse, le miel qu’elles nous avaient préparé l’été précédent.
Mon grand-père était parti à la chasse au chevreuil. On entendit un coup de fusil résonner dans la forêt. Seul mon petit frère sursauta. C’était la première fois qu’il entendit ce son, ce glas. Ma sœur et moi croquions tranquillement dans nos tartines.
Quelques heures plus tard, affalés sur la table de la cuisine prétendant faire nos devoirs, nous entendîmes les pas lourds de mon grand-père taper sur le seuil. La porte s’ouvrit, son caban dégoulinait. Nous ne vîmes pas tout de suite ses larmes.
– Papy, tu l’as eu le chevreuil ?
Il grogna pour toute réponse. Nous envoyâmes des coups de coude au petit frère. Papy était revenu les mains vides ou plutôt les mains pleines de terre mouillée.
– Le cheval est mort, dit-il à Mamie. Il a glissé sur le chemin et s’est fracturé la jambe. J’ai dû l’achever. J’ai voulu l’enterrer mais la terre est trop instable. J’y retournerai demain.
Mamie lui servit un verre de vin chaud, lui tapota sur l’épaule sans rien dire.
Nous jetions à tour de rôle des coups d’œil à Papy par-dessus nos sourcils, sans oser bouger, sans oser respirer.
– Putain de guerre ! marmonna Papy
– Putain de guerre ! répéta mon petit frère.
Papy se souvint alors que nous étions là, regarda avec tendresse le petit dernier qui avait tenté de l’imiter. Il sourit. Ses rides se dessinèrent différemment sur son visage.
Les cloches de l’église sonnèrent le rassemblement sur la place du village. Par ce temps de chien, quelle idée ! Il devait se passer quelque chose d’important. On enfila tous un caban, des bottes en caoutchouc. Arrivés à la place du village, les gens dansaient sous la pluie, riaient, se prenaient dans leurs bras.
– La guerre est finie ! La guerre est finie !
C’était une belle journée finalement.

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