Le jour où je suis née

Maintes fois, j’ai salué le jour où je suis née car j’aurais pu ne pas naître et personne ne l’aurait su. Je me sens comme un chiffre qu’on peut rayer dans une addition. Trop cher, supprime ça. Ce ça qui coûte cher, c’est moi mais ça s’écrit « troisième paire de drap, deux ça suffit » ou encore « café quand il y en a encore dans le pot et qu’on peut attendre deux voire trois jours avant d’en manquer ».

Une ligne en moins, j’aurais pu être. Aucune idée de tout ce fatras qu’est la vie sur terre ; dans l’ignorance la plus totale, j’aurais été. Comme un visage peint sur un médaillon, un visage qui a peut-être été mais qui n’est plus rien, puisque plus personne ne s’en souvient. Avoir été n’est pas une garantie qu’on aura existé. Avoir été, ça s’entretient. Par exemple, une phrase d’un poème naît, elle existe puis reste. Si Prévert écrit un pré vert, c’est qu’il souhaite, au-delà de la mort, que ce pré-ci reste vert.

La falaise, en 1re page du magazine, y est justement parce qu’elle n’est plus. Tombée à l’eau, emportant le phare dans sa chute. Il en faut des jours et des petits mouvements décisifs pour entraîner la falaise qui justement portait le phare.

La paroi évidée dévoile la roche couleur sang. La cassure révélera peut-être un trésor, une bête restée coincée des années dans le sable. Je salue l’animal venu de temps immémoriaux jusqu’à moi, mis au jour grâce à ces cailloux à l’air inamovibles mais qui, un vide se creusant, à côté d’eux, bougent par sympathie : « On n’a pas pu faire autrement. De toutes façons, si nous étions restés là, d’autres auraient bougé. Alors pourquoi pas nous ? »

Ce contenu a été publié dans Atelier Papillon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire