Saint-Malo – Partie 2

Le soleil s’était couché. Le temps s’était encore plus rafraîchi. Elle se leva et quitta son point d’observation. Elle remonta le col de sa veste et hésita à mettre sa capuche quand son regard se posa sur la baie vitrée du restaurant de la plage.
Les serveurs étaient affairés à dresser les tables. Elle imaginait que ça devait être pareil en cuisine quand elle aperçut, en retrait, un petit groupe en tablier blanc, cigarette à la bouche ou à la main. Elle les entendait rire et parler fort.
Elle poussa la porte du restaurant et s’avança au bar. Le patron lui lança d’une voix un peu rustre :
– Bien le bonsoir, ma p’tite dame. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
– Euh, il est peut-être trop tôt, non ? Je vois que vous êtes en pleine installation.
– Pas de souci. Je peux vous installer quand même. On a presque fini, avant le rush.
– Ah, très bien, alors d’accord. Je pourrais avoir une place avec vue sur la mer, s’il vous plaît ?
– Bien sûr, suivez-moi. Ici, ça vous convient ?
– Parfait, merci.
– Je reviens avec la carte.
Elle défit sa veste, la posa sur le dossier de la chaise, se frotta les mains pour les réchauffer. Son regard se perdit encore dans l’horizon. Le patron lui posa discrètement et délicatement la carte sur la table, sans mot dire. Il revint une dizaine de minutes plus tard.
– Je vous écoute, Madame
– Huit huîtres et un verre de vin blanc, s’il vous plaît
– C’est parti. Vous voulez que je monte un peu le chauffage ?
– Non, merci. Tout va bien.
Elle l’entendit crier en cuisine : « les gars, allez, on y va là, c’est fini la pause. Vous me préparez huit huîtres s’il vous plaît. »
Il courut au bar, déboucha une bouteille de vin blanc fruité, sucré, doux. Il passa la bouteille sous son nez expert et sourit. Il fit respirer le vin et en fit couler quelques gorgées dans un verre cristallin. Il apporta le verre plein à la table.
– Les huîtres arrivent. Fraîchement pêchées ce matin. Vous m’en direz des nouvelles.
Elle n’osa pas lui dire qu’elle n’en avait jamais mangées. Des moules, oui mais des huîtres, non.
Le patron retourna en cuisine, la mine légèrement rabougrie : « hey, les gars, vous n’allez pas vous poser pendant des heures non plus. Le service a commencé. Je ne peux pas être au four et au moulin. »
Les huîtres avaient été ouvertes avec précaution et déposées en forme de fleur sur l’assiette avec précision. Elle scruta les huîtres en se demandant comment elle allait pouvoir manger tout ça, et même comment elle allait réussir à en manger ne serait-ce qu’une. Elle pressa le citron pour gagner du temps.
Un courant d’air froid la fit frissonner. La porte s’était ouverte, le libraire venait de faire son entrée.

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2 réponses à Saint-Malo – Partie 2

  1. Corinne SB dit :

    Marija , Merci pour tes deux textes de St Malo, je me suis trouvée pendant un instant trop court devant un Simenon, soudain j’ ai eu envie de manger des huitres et de contempler la mer.

    Le libraire va entrer ….ET

    Merci pour cette atmosphère et ce souffle de bon air , ton héroïne est seule mais sereine.

    • Marija dit :

      Merci aussi pour ce retour
      Je ne sais pas encore s’il y aura une suite ou non, si le libraire et l’héroïne vont enfin se parler, si…
      Cela dépendra du hasard du prochain atelier et, en même temps, j’aimais bien l’idée du « et… » lorsque le libraire entre, car chacun imagine la suite qu’il veut
      Merci encore pour tous tes messages et d’avoir partagé

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