Mon big bang intime

J’aurais aimé tenir ta main un peu plus longtemps. Je ne sais pas pourquoi je suis parti si vite. C’est tout moi ça, dès que les choses semblent devenir possibles, j’enclenche le programme : petit sabotage en règle. J’ai eu soudain quelque chose de mieux à faire. Va savoir quoi… Et je me suis retrouvé tout seul dans la rue de l’Église à ne plus trop comprendre. Fallait-il que je fasse demi-tour et sonne à nouveau à ta porte ?  Jamais je n’aurai ce courage une seconde fois. J’avais déjà dépensé tout mon quota de confiance en moi pour la semaine, en faisant ce geste une heure plutôt. Des mois que je tournais autour du pot, que je me rongeais les sangs. Que j’échafaudais mille et une stratégies pour croiser ton regard et engager la conversation.  J’avais tellement peur de déblatérer des inepties, j’avais tellement peur de ton mépris quand, pris de cours, je t’aurais vaguement articulé « excusez-moi si je me trompe, mademoiselle, mais vive les merguez de Noël ! ». Tu m’aurais alors perçu comme un débile profond et tu te serais arrangée pour ne plus, au grand jamais, croiser à nouveau mon regard, mon chemin, ma vie. Et j’aurais été passer Noël sur le rond-point, déconcerté mais non moins résolu à finir cette misérable année en tournant en rond, seule activité qu’il m’aurait alors été possible d’envisager.  Ex aequo peut-être avec celle de récurer les toilettes. Pour te dire le niveau d’assurance que je possédais.

Mesures-tu bien alors l’exploit que j’ai réalisé tout à l’heure en m’aventurant dans ta rue, en m’arrêtant devant ta porte, en appuyant sur le bouton de ta sonnette ? Mesures-tu l’état second dans lequel je me trouvais en écoutant le silence qui résonnait si fort après la déflagration stridente de cette maudite sonnette, même pas en panne, qui avait rempli son rôle avec autant de vaillance qu’il y avait de terreur en moi ?  Sais-tu avec quelle ferveur avais-je alors prié pour que tu ne sois pas là, pour que je puisse reprendre le cours normal de ma petite vie de timide, tranquillement installé devant sa télé à regarder le peuple en colère dans le froid hivernal parisien ? Mesures-tu l’incroyable courage qu’il m’a fallu pour ne pas dégarpir au moment où j’ai entendu tes pas dans l’escalier, se rapprocher aussi inexorablement que ma tête se vidait de toute pensée cohérente, que la notion même de pensée semblait devoir disparaitre à tout jamais de ce monde ? Comment puis-je continuer à décrire ce vide qui me remplissait si totalement qu’aucun mot ne pouvait plus y pénétrer ? Comment évoquer l’absence de toute chose ?

C’est donc sur un esprit totalement vierge que s’est imprimée l’image de ton visage dans l’embrasure de la porte. Et je peux ainsi affirmer que tu fus à ce moment précis pour moi, l’origine de toute chose, mon big-bang intime, mon Emmanuelle, la première de toutes les femmes. Je devais faire une drôle de tête, si j’en crois le rire que j’ai déclenché en toi !  J’ai adoré ce rire, j’avais besoin de redescendre sur terre, je n’en pouvais plus de toute cette grandiosité, de tout ce trop plein d’absolu qui me bourdonnait dans les oreilles. Il me fallait reprendre le cours banal de cette histoire.

Un garçon descend une rue en pente, s’arrête devant le numéro 2 et sonne à la porte. Une fille lui ouvre et se met à rire.  Ouf, cela fait du bien un peu de simplicité, on respire mieux tout à coup, vous ne trouvez pas ? Ce n’est pas parce que c’est arrivé la veille de Noël et qu’un brouillard épais enveloppait la place déserte de l’église, qu’il fallait en faire tout un plat. Alors bien sûr cette fille s’appelait Sandrine, et occupait les pensées du garçon jours et nuits depuis la rentrée. Et oui, de la voir devant lui, d’entendre son rire cristallin résonner à ses oreilles incrédules de tant d’audace de sa part, cela le rendait fou de joie.

 

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