Sa voix au fin fond de l’univers

Je me souviens de sa voix. Si douce. Un peu sucrée. Elle me donnait toujours envie de rire. Mais je ne me souviens que de cela. Il n’y a que sa voix qui persiste. Et ce sentiment. Tout le reste s’est évanouit. JE ne me souviens plus de son visage, de son nom, de notre rencontre, de nos aventures. Je me souviens juste que je l’ai aimé et que je la cherche. En vain. Pourtant, je ne peux m’arrêter. Je ne peux oublier sa voix. Celle qui me murmurait à l’oreille que tout irait bien. Que nous pourrions tout avoir. Ensemble. Et chaque nuit, je rêve de cette voix. De cette silhouette au loin. Je ne peux jamais la toucher. Mais je sais qu’elle est là dans les recoins de mon esprit. Je le fouille jusqu’au moindre centimètre carré pour trouver un indice. . Une lueur d’espoir. C’est comme attendre devant une porte sans avoir la clé. Entendre sa voix à travers et savoir qu’elle est là mais jamais ne pouvoir l’ouvrir. Certaines fois, je peux m’approcher un peu plus, mais je me réveille toujours à cet instant.

Plusieurs fois, j’ai voulu cesser de la chercher. Trouver un coin où me poser. Reconstruire ma vie. Néanmoins, je ne peux pas abandonner, car je sais au plus profond de moi qu’elle ne l’aurait pas fait. Elle n’aurait pas non plus cessé de me chercher. Alors, je lui dois de faire la même chose. Même si je ne sais pas qui elle est. Elle est importante et c’est suffisant.  Je n’ai aucun moyen de savoir où chercher, alors je vagabonde au gré des vents et des étoiles.

Aujourd’hui, j’en suis rendue à ce point. Décider où aller. Quoi faire. Je suis arrivée jusqu’à la limite du quadrant Alpha. Dans la partie la moins connue. Celle qui se mêle avec le quadrant Beta. Il y a quelques semaines, j’ai acquis une carte de ce nouveau quadrant. Mais je n’arrive pas à me décider à franchir la frontière. Quitter tout ce je connais dans l’espoir de la trouver. Où qu’elle soit et qui qu’elle soit. Je me tiens devant le hublot en espérant que les étoiles me donneront la réponse. Car à cet instant, je suis seule. Il n’y a personne à bord et personne à des millions de kilomètres. Le vaisseau flotte dans l’immensité. Je me demande parfois si je ne devrais pas tout simplement faire cela. Eteindre les moteurs et me laisser dériver en espérant arriver quelque part.

Derrière moi, le bruit d’un objet tombant au sol me rappelle que je ne suis pas vraiment seule. Il y a toujours Gaia. Je me retourne vers la table juste à temps pour la voir faire tomber mon compas d’un coup de patte.

« Gaia, arrête cela tout de suite, dis-je d’un ton ferme en ramassant les objets au sol. »

Elle me regarde et s’avance vers le gobelet au bord de la table. Je repose le compas à sa place et commence à observer la carte à nouveau. Du coin de l’œil, je vois Gaia tendre sa patte. « Gaia ! » Cette fois-ci, ma voix se fait plus sourde et menaçante. Elle s’arrête immédiatement et lèche la patte précédemment tendue comme pour me montrer qu’elle n’avait pas l’intention de faire ce pourquoi je la gronde.

Je me demande parfois pourquoi je l’ai recueillie. Je l’ai trouvée au milieu du désert de sel sur Optima 6. Une petite boule de poil que l’on voyait à peine tant sa couleur ressemblait au décor alentour. Je n’ai pas eu le cœur de la laisser où elle n’aurait pas survécu. Je l’ai coincée sous mon manteau et ramenée au village. Mon intention était de la donner aux gens chez qui je logeais. Je savais que leur fils adorerait ce nouveau compagnon de jeu. Mais elle en a décidé autrement. A peine avais-je fait un pas vers le vaisseau qu’elle était dans mes jambes à miauler de façon déchirante. Le petit garçon m’a alors dit que chez eux ce sont les Volocats qui décident de leur maîtres et qu’il fallait simplement l’accepter. J’ai alors adopté cette petite bouille.

Gaia me tire alors de mes pensées en venant se frotter à moi. Elle me passe sous le nez en frottant sa tête contre la mienne au passage puis se couche sur le dos. Elle se retrouve les quatre pattes en l’air avec ses ailes de chaque côté. Je sais qu’il ne me reste qu’une chose à faire. Lui gratouiller le ventre. C’est son plus grand plaisir et apparemment un grand honneur pour moi. Alors que Gaia ronronne comme jamais, un petit point sur la carte attire mon regard. Une petite planète à l’extrémité du quadrant Beta, perdue au milieu d’un champ d’astéroïdes. La légende indique « Neptuna ». Gaia réalise que je suis distraite et grimpe sur mon épaule pour voir ce qui me retient. Je ne sais pas pourquoi mais ce nom me parle. Comme si je connaissais cette planète, alors que c’est impossible. Je n’ai jamais été dans cette partie de l’univers, mais après tout peut-être que si. Peut-être que Neptuna est la clé de cette porte qui me hante. La clé pour la trouver.

« Qu’en penses-tu Gaia ? Neptuna comme prochaine étape ? »

Elle me répond d’un miaulement et frotte sa tête contre la mienne. Je me dirige donc vers la console, entre les coordonnées de la planète et enclenche l’hyperespace jusqu’au champ d’astéroïdes. D’un coup d’ailes, Gaia vient se poser sur le fauteuil à côté de moi et entame sa sieste. Quant à moi, je regarde le vaisseau passer la frontière du quadrant. Tout en caressant le poil soyeux de mon Volocat, je repense à ma solitude. Je me demande parfois si c’était le bon choix. La chercher seul était-il le plus effectif ? Ce n’est pas ainsi que j’ai commencé. Je n’ai pas toujours voyagé seule.

Un jour, je me suis réveillée chez mon plus vieil ami, n’ayant pas la moindre idée de comment j’étais arrivée là. Il m’expliqua qu’il m’avait trouvé sur le pas de sa porte, complétement délirante. Et c’est lorsque que j’ai essayé de recomposer mes souvenirs que je me suis rendue compte que c’était un immense trou noir. Je me souvenais clairement de tout jusqu’à mon départ pour l’aventure, 5 cycles auparavant. Après, les morceaux se mélangeaient et j’avais toujours cette impression de rater quelque chose. Mon ami a alors proposé de m’aider à comprendre ce qui c’était passé. Nous avons voyagé pendant 1 cycle à travers le quadrant pour essayer de retracer mes pas et comprendre. Au fil du temps, sa voix est revenue mais c’est la seule chose. Un verrou puissant bloquait mes souvenirs. Joshua a fini par me dire d’abandonner, de rentrer avec lui et de pas à autre chose. Il ne comprenait pas pourquoi je continuais. Mais je ne pouvais pas m’arrêter, alors je l’ai redéposé chez lui et j’ai continué seule. Après cela, j’ai pris des passagers dans mes voyages. Des gens qui allaient d’un point A à un point B. Des gens en quête d’aventure. Des gens qui souhaitaient m’aider. Mais à force, j’ai fini par me rendre compte qu’aucun ne comprenait ce qui me poussait en avant. Que je n’en pouvais plus de raconter mon histoire. De voir la pitié dans leurs yeux. Alors, il y a 2 cycles j’ai décidé de rester seule. Ce voyage est ma quête, mon fardeau et je ne veux plus le partager. La seule chose qui me manque parfois, c’est de pouvoir entendre quelqu’un me répondre. D’avoir une conversation.

Le temps s’écoule doucement à bord d’un vaisseau spatial en hyperespace. Le décor reste plus ou moins le même. Il n’y a aucun son à part celui des moteurs. Rien pour marquer la succession du jour et de la nuit. Alors je prends mon mal en patience et ma routine se met en place. Lire, écrire, surveiller le vaisseau, suivre la trajectoire, jouer avec Gaia. Jusqu’au moment où un bip retentit dans le vaisseau. Le radar a détecté un champ d’astéroïdes. J’arrête le vaisseau à bonne distance. Par le hublot, j’observe ces cailloux suspendus dans l’espace qui flottent au gré des vents cosmiques. Et plus loi, le bleu presque fluorescent de Neptuna. Les gaz de l’atmosphère forment une légère teinte pourpre se mêlant au bleu irradiant de l planète elle-même. En observant cette vue, j’ai l’impression que quelque chose de débloque dans mon esprit. Je suis sur la bonne voie.

Je m’empare des commandes et ordonne a Gaia de se mettre à l’abri. Un sourire prend place sur mon visage alors que je me lance dans le champ. J’aime cette adrénaline de ne  pas savoir ce qui nous attend. Un champ d’astéroïdes est aussi imprévisible que … Je ne sais pas que quoi mais on ne sait jamais ce qui peut y arriver. Malgré quelques frayeurs et quelques frôlements, je sors indemne du champ et me dirige vers la planète. Le scanner m’indique que l’atmosphère est respirable et que la planète est presque entièrement recouverte d’eau. Je choisi l’un des rares morceaux de terre pour me poser. Une fois au sol, je coupe les moteurs et me prépare. Je sais d’expérience qu’on ne sait jamais ce qui nous attend, alors je reste prudente. Surtout si c’est vraiment ici que j’ai perdu mes souvenirs. Et je commence à en être de plus en plus convaincu car ici sa voix se fait plus forte et plus audible. J’ai l’impression que ma main n’a jamais été aussi proche de la porte.

J’esquisse une caresse à Gaia et sors du vaisseau. Dehors, le soleil se réverbère sur la surface de l’eau et englobe tout le paysage d’une lueur bleutée. Voilà d’où vient le halo bleu de la planète. L’ile sur laquelle je suis ne semble pas grande mais la végétation est dense et colorée. Elle se décline en teinte de violet, bleu et vert. La planète semble être parsemée uniquement de couleurs froides et pourtant il s’en dégage une chaleur à peine supportable. Je m’approche de l’eau pour l’observer plus attentivement quand je vois la surface bouger. Plusieurs personnes sortent alors de l’eau. Leur peau aussi bleue que l’eau parait les avoir dissimulé. Ils m’entourent et se parlent d’une façon animé dans un dialecte que je ne comprends pas. Et pourtant mon cerveau semble le reconnaitre. J’ai aussi l’impression que ces hommes bleus me connaissent. L’un deux s’approche de moi. Il est fait une tête de plus que moi, porte un pagne modeste et je vois tous ses muscles se dessiner à chaque mouvement. Il exsude la force et l’autorité, et les autres semblent attendre ses ordres. Il étudie mon regard. Je ne sais pas ce qu’il y voit mais il n’est pas satisfait. Il m’empoigne alors et me dirige vers la forêt avec un regard désapprobateur. Je le laisse faire, je veux comprendre. Nous suivons un chemin qui serpente à peine visible jusqu’au centre de la forêt. AU bout d’une dizaine de minutes, nous arrivons à une bâtisse au milieu d’une clairière. J’ai tout de suite l’impression de me sentir chez moi. Le chef me signifie du regard de me diriger vers la porte.  Celle-ci s’ouvre et je reste planté sur place, abasourdie par toutes les images qui déferlent dans mon esprit. Je comprends enfin. Je sais pourquoi. Pourquoi, je ne devais pas me souvenir.

A suivre : https://www.404-factory.fr/story/au-fin-fond-de-lunivers

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