Laisse de mer

Au-delà des dunes, il savait qu’il n’y aurait que le bruit de la mer et les cris des oiseaux. L’odeur du varech luisant à la marée basse. Le reflet du ciel sur le sable gris. Il avait passé les collines instables plantées d’ajonc brunis, leurs tiges dressées dans l’air frais. Un raidillon descendait vers la plage, et quelques galets abandonnés par le sable fuyant roulaient sous ses pieds. Arrivé sur la plage, il s’assit le temps d’enlever ses chaussures. Les derniers pas s’enfonçaient péniblement, avant de retrouver la ferme densité du sable humide. De nombreuses rigoles s’étaient formées, parcourues par les vagues comme des rivières miniatures. La grève était déserte, mis à part tous les oiseaux, petites taches brunes et noires sur le miroir d’eau. Ils ne semblaient pas encore dérangés par sa présence. Il aimait venir ainsi après les tempêtes, lorsque la houle avait nettoyé le ciel et la mer. Longeant les vagues, il laissait l’eau froide fouetter ses pieds. Il lui sembla que les oiseaux se rassemblaient devant lui, une masse mouvante et piaillante. Les petits échassiers avaient vite été chassés par les goélands, il en voyait certains repartir avec quelque chose dans le bec. Confusément, un malaise commença à pointer en lui. Son estomac se nouait. Il ne savait que trop bien ce qu’il redoutait. Les courants d’hiver étaient traitres. Pressant le pas, il se mit à chasser les oiseaux par des grands gestes des bras. Les derniers mètres furent une torture. Elle était revenue. Pas toute entière, et encore moins que la dernière fois qu’il l’avait vue. Il n’en restait plus grand chose, le ressac, les crabes et les oiseaux y avait veillé. Mais suffisamment pour qu’il la reconnaisse, et pas assez pour qu’elle ne disparaisse. Oh, son visage, son horrible visage, ce sourire sans lèvres et ce regard sans yeux! Il tomba à genoux, et tendit une main hésitante vers ce qui restait d’elle. Chaque fois, c’était un peu moins. Chaque fois, il l’abandonnait plus loin à l’océan. Mais chaque hiver elle revenait. Elle reviendrait toujours, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’elle, et plus rien de lui.

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