L’Ange déserté et la tempête Gabriel

Anna se sent vide, au bord du monde. Le corps arqué sur la mappemonde. La tête et les pieds transis aux deux pôles et le corps ondoyant sur les mers, les océans.
Non, debout au bord du monde, les doigts de pied arc-boutés sur le rebord. Je plonge ou je ne plonge pas au cœur du monde, dans la vie? J’ai peur. Saut dans la mer, Saut dans le désert? Elle n’imagine que ces deux alternatives, bannit la banalité.
Anna se lance en un saut de l’Ange, la grâce de la mélancolie.
La tempête bretonne prénommée Gabriel l’accueille les bras grands ouverts, chargés d’un puissant souffle marin, pour ne pas dire d’un bouche à bouche impétueux et les referme sur elle en une accolade virile à en perdre l’équilibre. Anna la funambule……
Elle marche sur la jetée, jusqu’au phare vert et blanc tout au bout, le visage cinglé par le vent déchaîné et la pluie.
Seule, à l’exception de quelques mouettes au dessus de sa tête. L’une à son passage lance un rire sarcastique: Hin, hin, hin, hin, hin. Entendu la tonalité grave, elle a affaire à un goéland, pas à une de ces mouettes rieuses plutôt soprano d’une chorale maritime, écumant les ciels bretons. En tout cas,il se fout d’elle ouvertement le goéland, de son bonnet enfoncé jusqu’aux yeux et de la peau de ses joues, rougie. Anna aime ça, sentir à nouveau son corps. Sensations. Largo sensu. Toutes les émotions déployées comme les ailes de l’Ange vers la liberté, abandonnant la Madone à son insensibilité.
Elle attend l’embellie après la tempête, elle a tout le temps, son fidèle appareil photo calé dans les mains.
Elle connaît cette excitation à guetter l’instant où un rayon de lumière redore à l’or fin la masse sombre des rocs, où le ciel joue à dessiner des rayures gris-bleu, plus sombres, plus claires. Rivalité ou complicité avec la mer qui choisit le gris-vert? Elle prend dix ou vingt photos des mêmes rochers, à chaque vague habillés et déshabillés de dentelle mousseuse déchiquetée.
Noyer le vague à l’âme dans une lama de fond, sans une larme. Chaque déclic de l’appareil photo appuiera un peu plus fort sur la crête du mal à l’être.
Elle est seule sur la lande rouge, Anna. Elle se rassemble. Les embruns caressent ses joues, égrènent des baisers mouillés sur ses paupières.
L’enchantement retrouvé, ça sent bon la vie, elle s’en remplit les poumons de cette odeur sensuelle toute en couleurs et en murmure du vent apaisé.
Veille sur elle la mer.

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