Perdu comme un nabot

Si j’additionne les minutes à poireauter dans la salle d’attente de mon thérapeute, je peux vous dire que j’arrive vite à des heures, des jours, peut-être même une semaine complète. Que de mots ont été dits, ont été tus, ont été vomis, ont été pleurés dans ce petit bureau aux moulures de plafond que je pourrais vous dessiner tant je les observées, étudiées, analysées.
Au départ, j’étais perdu comme un nabot – c’était mon expression. La psy était intéressée, elle répétait après moi avec une interrogation dans l’intonation : perdu comme un nabot… Je ne répondais pas, mais je pensais dans le silence planant du moment : perdu comme un minable, un nul, un rabot, un robot, un calot, un salaud. Bref, mot à mot, nous avancions dans cette nuit opaque qui était ma vie et sans forcément penser retrouver le jour un jour, nous visions, je crois, les petites lueurs qui permettent de diminuer la peur. Mon père n’était pas encore paraplégique et je me sentais crétin de ne rien savoir des parallélépipèdes que je confondais avec des animaux à palmes. Bref, je nageais en pleine confusion.
Avant de poireauter dans la salle d’attente, je m’arrêtais au café du coin pour siroter une noisette avec parfois un demi sucre. C’était un rituel, un premier sas avant celui de la salle d’attente. Debout au zinc, à écouter la barmaid, je faisais le vide, en quelque sorte. Je vérifiais mes billets, je regardais mon agenda, j’y notais deux ou trois choses à faire ou au moins à ne pas oublier. Ça a duré longtemps et aujourd’hui, je peux vous dire que grâce à ça, j’ai revu le jour.
Je repense à ces moments intenses et étranges avec une certaine nostalgie. Avec gratitude. Cher vous, pourrais-je aujourd’hui lui écrire. Mais à quoi bon ? Les psy sont comme les sherpas, ils portent un temps les bagages des autres, le temps qu’ils les reprennent, qu’ils aient retrouvé la force et le sens de leur vie. Et ils continuent eux aussi leur chemin, font la vaisselle, vont se coucher tout décoiffés, remarquent qu’ils portent une chaussette décousue. Ils lisent des recettes de cuisine pour essayer de se renouveler. Ce ne sont ni des magiciens ni des fées. Mais pourtant, pour ceux qu’ils ont aidés, ils le sont un peu quand même. Alors, oui, si j’écrivais à mon thérapeute, je lui dirais : Cher vous, je vous remercie.

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2 réponses à Perdu comme un nabot

  1. Corinne SB dit :

    merci pour ce texte rempli d’ émotion et aussi plein d’ humour !

    c’ était un thème difficile et vous n’êtes pas tombé du tout dans le pathos.

  2. Cécile C dit :

    Merci Corinne, pour ta lecture. L’écriture a commencé, si je me souviens bien, à partir de cette étrange comparaison : perdu comme un nabot… dont j’ai retenu « être perdu » et « comme un nabot » m’a fait penser à une mauvaise image de soi…

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