Bleu myosotis

Je n’ai jamais trop aimé les petites fleurs du myosotis. Il en poussait pourtant dans les jardins que je connaissais, mais je les ai toujours trouvées mièvres, mignardes. Le genre de fleurs que l’on retrouve sur les papiers peints, ou les tissus liberty des ouvrages de couture. Et ce bleu était trop chaud pour moi, on sentait le rose et le rouge poindre derrière. Un bleu pour petite fille bien élevée.

J’ai toujours préféré les grandes tulipes cireuses, ou les violets déchiquetés de jaune des iris. Les lys raides, avec leurs étamines qui tachent les doigts de faux safran. Ou les clochettes vénéneuses des digitales, et leur rose violacé. Toutes ces couleurs tranchées, violentes, presque artificielles. Ces fleurs exotiques vendues à l’unité chez le fleuriste, qui lustrait à la bombe leurs feuillages pointus ou au contraire large comme des assiettes. Les orchidées avec leur fragilité exotique, et leurs racines aériennes qui trouaient la terre comme des vers. Les succulentes aux formes grotesques et trapues, les cactées dans leur buée de piquants.

Mais toutes ces plantes restaient encore désespérément naturelles, leurs couleurs jamais assez saturées. J’ai tenté des expériences, à fendre la tige de fleurs blanches et à ajouter encres et colorants à leur eau. Peine perdue, je n’ai jamais obtenu que des bleus délavés ou des verts pâlots. Où sont les pétales bleu électrique, les corolles d’un vert acide, les teintes néon et outrancières? Qui saura inventer des plantes jamais vues, celles qui seront phosphorescentes, qui changeront selon les heures ou le temps, celles qui évoqueront des fréquences que nos yeux ne sauront pas encore percevoir?

Si nous pouvions voir la nature avec les yeux d’autres êtres, comme elle nous paraîtrait nouvelle et inédite. Dans l’infrarouge ou l’ultraviolet, les champs et les bouquets seraient-ils une symphonie de gris ou une explosion de teintes acides? Voir les fleurs avec les yeux de l’abeille, les approcher démultipliées dans un regard à facettes, dans des longueurs d’onde jamais expérimentées. Ou les transformer en vibrations, descendre au plus profond, là où la couleur peut devenir du son, pouvoir vivre la synesthésie non plus en poeme mais en réalité.

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