Arabesque

Allongée au sol, elle entend le bruit autour d’elle et se dit : pourvu que je n’ai que quelques écorchures. Elle avait glissé sur une branche humide puis dévalé le flanc de montagne. Elle s’était arrêtée pile au bord de la rivière.
Elle examine ses jambes, ses bras, ses mains. Pas de sang. Elle avait fait cela proprement. Elle se penche au-dessus de l’eau, trempe ses mains, les frotte puis s’asperge le visage et les jambes pour décoller la terre et les feuillages qu’elle avait ramassés dans sa dégringolade.
Elle tourne la tête pour évaluer sa chute. Une conclusion simple s’impose : elle ne pourra plus remonter par là. Ça aura été une voie à sens unique, descente dangereuse, remontée impossible.
Elle se décide alors à suivre le lit de la rivière qui coule paisiblement. Elle couvre ses bras, ses jambes, enfonce une casquette sur sa tête : les cicatrices ne disparaissent pas avec le soleil, bien au contraire. Autant ne pas garder de souvenir de cette chute rocambolesque. Elle sort de la pommade de son sac à dos, en tartine les parties de son corps exposées au soleil rouge et brûlant. Elle trouve un petit pansement qu’elle colle sur son genou, celui qui a permis le freinage final.
Elle marche lentement, en boitant légèrement, le temps de retrouver sa stabilité, le temps que son corps s’habitue à ses nouvelles douleurs. Le ruissellement de l’eau à ses côtés l’apaise, la soigne même. Elle respire profondément, de mieux en mieux. Elle chantonne. Sa voix résonne et fait écho. Ça la fait sursauter. Elle décide alors de chuchoter, de parler avec la rivière. Une rivière qui a pu, selon elle, entendre de nombreux écorchés de la vie, des laissés pour compte, des désaxés se confier à elle.
La rivière prend et laisse couler. Elle ne s’encombre pas de tout ce qu’on lui a donné. Elle garde seulement ce qui la rend limpide, vivante, vibrante, prête à accueillir d’autres confidences. La rivière sait que certains mots blessent, que d’autres consolent.
Elle caresse de son léger courant les pieds de ceux qui s’approchent d’un peu trop près. Elle caresse avec des mots qui consolent. Des mots qui font couler des larmes. Des larmes coulent des joues de l’éclopée. Elle a mal aux jambes, aux bras, au dos. Elle est aveuglée par la lumière blanche et par l’eau salée qui lui remplit les yeux. Elle se rince le visage avec l’eau claire et douce de la rivière. Elle reprend ses esprits, remercie la rivière pour sa bienveillance.
– Je m’appelle Alma, lui dit-elle, espérant secrètement une réponse. Et toi ?
Alma s’accroupit, trempe sa main dans l’eau et laisse le courant glisser entre ses doigts. Son regard se perd dans le vide. Elle ne voit pas les poissons frétiller, elle ne voit pas les cailloux rouler. L’eau est fraîche et ça lui fait du bien.

PS : Les clefs sont dans la cachette habituelle. N’oublie pas d’arroser les plantes et de tourner le pot pour que les feuilles prennent bien le soleil. Je t’ai mis de quoi manger pour les prochains jours dans le frigo, tu n’auras plus qu’à réchauffer. D’ailleurs, j’ai oublié de te dire, la chaudière est un peu capricieuse, j’espère que tu n’auras pas trop froid, surtout la nuit. Bon, j’y vais. Je reviens dimanche. A très vite. Je t’aime.

Ce contenu a été publié dans Atelier Papillon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire