Jouer sa vie

– Ah bon, elle a pas de prénom ?
– Ben si, débouche-toi les oreilles un peu !
Matthias boude. Son grand-frère n’est pas gentil avec lui aujourd’hui. Il aurait tellement aimé jouer au foot, au basket comme avant, comme avant que son grand-frère grandisse et caresse le rêve d’atteindre les étoiles.
Ils ont dix ans d’écart et, à cet âge, ça paraît une éternité. Le petit qui veut jouer, l’aîné qui veut s’émanciper.
Matthias se perd dans ses pensées, il a perdu le fil de la conversation. Ces adultes parlent trop, trop vite et tous en même temps. Il ne comprend pas tout ce qui se passe. Il entend son père taquiner son grand-frère :
– Alors ? Elle s’appelle comment la nouvelle ? Enfin, celle d’aujourd’hui qui n’est pas celle d’hier ni celle de demain.
– Arrête, papa, t’es jaloux c’est tout ! A mon âge, on peut papillonner, s’amouracher d’une fille, d’une autre, d’un garçon, d’un autre. C’est notre génération, on goûte à tout, vite, très vite et on passe à autre chose sans hésitation.
– Tu devrais faire attention quand même, l’avertit sa mère. C’est bien joli tout ça mais, en plus de faire du mal à tes différentes conquêtes, un jour ça va te retomber sur la tête !
– Le karma ! répondent, moqueurs le père et le frère en écho avec la mère.
Matthias veut manger son dessert et sortir de table. Il a envie de rêver, de lire, de regarder un dessin animé et même d’écrire une lettre à son amoureuse secrète, la petite Ophélie en 6ème B.
Son frère avait grandi d’un coup l’été dernier. Il s’était senti poussé des ailes. Quitter le nid lui faisait bien envie, tout comme toutes ces filles qu’il avait fait défiler. Il ne se souvenait que de très peu de prénoms.
A 20 ans, il aime vivre sa vie au jour le jour, avec beaucoup d’entrain et de fantaisie. Il ne se rend pas compte qu’il ne joue plus avec Matthias. Il joue avec les gens mais jamais il ne jouera avec son petit frère.
Le seul qui le comprendra quand, dans 30 ans, une vieille tristesse l’envahira.

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