Mêmes

Ils avaient les mêmes cheveux, ni raides, ni bouclés, légèrement ondulés. Ils étaient identiques à tout point de vue : même sourire, même démarche, même date de naissance, avec cinquante ans d’écart. Le matin, ils avaient le même visage froissé, la même gueule enfarinée. Ils traînaient leurs pieds jusqu’au banc de la cuisine, s’affalaient devant leur petit déjeuner, tartine de baguette fraîche, beurre salé et confiture d’abricot en couche épaisse. La seule différence était le contenu de leur tasse : café noir pour le grand-père, chocolat chaud pour le petit. Le petit se disait qu’à dix-huit ans, il boirait aussi du café noir pour faire comme Papy.
Pendant les vacances, ils aimaient se promener ensemble à travers les prés, sans parler, sans converser, ne se contentant que du minimum. Parfois, leur conversation n’était qu’un échange d’onomatopées.
Le grand-père l’emmenait avec lui pour réparer le bateau, ils allaient traire les vaches ensemble pour faire du beurre, des yaourts, du fromage. Le grand-père lui indiquait chaque étape précautionneusement, il était important de ne pas faire d’erreurs pour avoir de bons produits.
L’après-midi, à marée basse, ils longeaient la plage et ramassaient des coquillages, des cailloux qu’ils glissaient dans leurs poches mais aussi, quand c’était la saison, ils creusaient pour découvrir crabes et bigorneaux.
Quand le temps le permettait, ils partaient avant le lever du jour, au large, pour une journée de pêche. Le grand-père tricotait des nœuds nautiques avec ses longs doigts fripés. Le petit copiait avec ses doigts encore boudinés.
Le petit Lucien aimait beaucoup passer du temps avec son grand-père. Quand il était d’humeur bavarde, il lui racontait son histoire, il omettait, et ça Lucien en avait parfaitement conscience, les détails douloureux, la guerre, la perte de ses frères d’armes, la perte de son épouse. Il avait mis son deuil en suspens pour s’occuper seul de la mère de Lucien.Elle était morte en couches et son père ne savait sûrement pas qu’il était père.
Lucien défiait son grand-père à la belote, au rami. Il avait tenté d’apprendre à jouer au poker mais son grand-père l’avait dissuadé de jouer de l’argent. Il avait connu un voisin qui en avait perdu sa ferme et même sa vie.
Lucien appréciait ses jeux de cartes où ils se jaugeaient au-dessus de leurs mains en soulevant un sourcil. Ils avaient le même bleu perçant, la même détermination dans le regard, la même envie de gagner, la même envie de croire en la chance.

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