Passé simple

Te souviens-tu quand nous rigolions ? On conjuguait nos émotions à tous les temps et souvent, pour faire du bien à mon âme, nous rigolâmes. C’est moche le passé simple, sauf pour le verbe rigoler à la première personne du pluriel parce qu’il sous-entend plus que des rires. Ce verbe nous a nourri année après année. Il nous a fait courir sur des bancs de sable mouillé. Nos pieds s’enfonçaient, le mouvement des vagues chatouillait nos chevilles et l’écume restait quelques instants nous caresser avant de s’évaporer.
Te souviens-tu lorsque nous revenions sur la terre ferme ? Te souviens-tu nos yeux plein d’étoiles ? Te souviens-tu comme nous étions comme des enfants qui toujours s’émerveillent ?
Je voudrais plus me souvenir de tout cela que de tous les nuages qui ont traversé nos vies. Tu me disais, quand mon regard était gris, que le soleil brille toujours derrière cette masse dense et ferme. Tu me le disais encore plus haut, encore plus fort quand je sentais l’immobilisme de ce poids sur nos têtes. De ces moments sombres et austères, je me souviens de tes mains d’or comme celle d’un ange-gardien.
Je n’ai jamais percé le mystère de ta joie de vivre continuelle. J’ai puisé en toi pour savoir comment faire. J’ai peur aujourd’hui de t’avoir tari.
Je t’assaille de questions pour que tu te souviennes. Je t’inonde de rires pour que tu t’éveilles. La chape grise des nuages est tombée sur ton front et je n’arrive pas à renvoyer ce que tu as su me donner.
Te souviens-tu lorsque nous rigolions ? Te souviens-tu lorsque le ciel était toujours bleu ?

Ta femme

Il lut et relut la lettre un nombre de fois incalculable. Il hésita à répondre par lettre lui aussi mais se dit que ça n’avait jamais été comme cela qu’il avait fait. Il se souvenait en effet de la conjugaison de leurs émotions, comme leur maison toute entière en était l’expression la plus sincère. Le temps avait passé. Il avait eu de plus en plus de mal à atténuer les nuances de gris.
Il ferma les yeux avec chaque mot de la lettre bien en tête. Il s’enfonça dans le songe le plus doux de toute sa vie. Il se présenta à elle, fier et droit, lui tendait les bras et ouvrit ses mains d’or. « Tu seras toujours la bienvenue », lui chuchota-t-il.
Il sentit une main lui caresser le front, la joue, un pouce glisser sur ses lèvres. Il ouvrit les yeux lentement. Elle était là, face à lui, souriante, les yeux plein d’étoiles. « Je suis là, je serai toujours là pour toi. »
Ses mains tentent de la saisir mais la silhouette disparaît et encore aujourd’hui, des larmes lui coulent sur le visage.

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