Strip-poker

Au casino, il a joué au strip-poker, il y a laissé une chaussette, son haut de pyjama et une pantoufle. Heureusement, il n’avait qu’un ascenseur à prendre pour se rendre à sa chambre d’hôtel. De son pied nu, il caressait la moquette rouge et moelleuse qui absorbait les pas mais pas les cascades de pièces, les sonneries incessantes des machines à sous.
Le casino ne dormait jamais et ce soir-là, Rodolphe n’y arrivait pas non plus. Il avait laissé sa belle, à moitié nue et entièrement endormie dans le lit king-size de sa chambre d’hôtel et était descendu inspecter les lieux.
Il n’avait pas pris la peine de se changer vu que, de toute façon, il allait rester à l’intérieur. Il avait salué les vigiles, traversé les allées trop illuminées et s’était dirigé vers le rideau en velours rouge qui laissait passer au compte-gouttes des personnes déterminées. Au moment où il écarta le rideau, le molosse lui dit « C’est privé ! » Rodolphe répondit : « Ouais, je sais, c’est bon, t’inquiète gars. »
La salle était plongée dans une ambiance chaude et tamisée. Il s’en dégageait une moiteur que Rodolphe trouvait agréable. Sur la scène, des filles dansaient autour de poteaux métalliques. Il n’arrivait pas à voir si elles étaient belles ou pas. Seuls leurs mouvements, leur dextérité lui avaient fait hocher la tête, admiratif.
Le serveur le bouscula et s’excusa platement. Rodolphe en profita pour lui commander un whisky sec. « Sec, t’as entendu ? Ça veut dire sans glaçon, ok ? ». « Oui, Monsieur, je vous apporte ça. »
Rodolphe s’installa à une table. La croupière distribuait les cartes et des regards plein de sous-entendus. Son décolleté pigeonnant faisait le reste du travail pour troubler Rodolphe. Les autres joueurs le saluèrent à peine. Les lèvres épaisses et rouges de la croupière susurrèrent : « C’est un strip-poker, Monsieur, vous êtes partant ? » Rodolphe remarqua seulement la décomposition du look des convives. Quel intérêt avait un strip-poker si ce n’était que des hommes autour de la table ? Voyant sa mine circonspecte, la croupière annonça : « Si la banque perd, j’enlève tout. »
Tout s’éclairait pour Rodolphe : la détermination des joueurs, leur regard transperçant, la bave qui coulait de leur bouche. « Ok, dit-il, j’en suis. »
La nuit était longue, il s’imaginait le croissant de lune dans le ciel noir en remarquant le tatouage sur sa nuque derrière son lobe gauche. La croupière dégageait une sensualité, une sexualité qu’il n’avait pas vues depuis très longtemps. Il se souvenait des premiers moments avec sa douce et tendre qui dormait au cinquième étage du casino : ils étaient partis en forêt, il avait pris sa guitare. Deux, trois accords, une sérénade et ils avaient fini nus dans l’herbe et la mousse.
Rodolphe, ancien flic devenu privé, avait un don pour voir les gens, vraiment les voir. Il avait fait semblant de perdre un peu, y avait d’abord laissé une pantoufle, puis une chaussette. Les autres joueurs étaient tous en slibard. Quelle bande de cons, pensa-t-il.
La fille n’avait rien lâché, pas même une boucle d’oreille. Rodolphe perdit le haut de son pyjama. Il sourit au visage épaté de la croupière. Pour son boulot, Rodolphe devait garder la forme et sous son haut de pyjama, on devinait mais on n’avait pas la certitude de sa musculature.
De peur de se retrouver nus comme des vers, les joueurs avaient quitté la table. Rodolphe avait l’as de pique, l’as de carreau. Il tourna sa troisième carte, l’as de trèfle. Avec ou sans l’as de cœur, la banque était au bord du précipice. Il retourna sa quatrième carte : dix de cœur.
Il enfonça son regard dans celui de la croupière. Elle lui glissa une carte. Rodolphe effleura la carte et lui dit : « Prépare-toi, je crois que t’as perdu : »

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