Ultime cadeau

La salle était comble. Les spectateurs chuchotaient avec leurs voisins. Soudain, la lumière s’éteignit, les laissant dans un noir presque complet. Seuls les néons verts « Sortie de secours » laissaient passer un filet de lumière, éclairant vaguement leur joue droite ou gauche selon l’emplacement de leur siège.
Ils entendirent des coups de balai secs sur la scène pour annoncer le début du spectacle. Le rideau de velours rouge se hissa difficilement pour découvrir une scène tout aussi sombre que la salle. Un projecteur blanc s’enclencha et dirigea l’attention du public sur le seul objet présent sur scène : un paquet cadeau rose bonbon.
Les yeux des spectateurs s’arrondirent, tout comme leur bouche. Noël était passé depuis peu et on leur offrait un ultime cadeau.
Le silence s’imposa. Seul était perceptible le grésillement du spot sur le paquet cadeau. La scène sembla durer une éternité. Elle ne dura, dans les faits, qu’une minute, une minute de silence, une minute d’étonnement, une minute de questionnement. Personne n’osait parler. Personne n’osait respirer.
La musique retentit et les fit tous sursauter sur leur siège. Le jeu de lumières s’anima pour former une étincelle sur le paquet cadeau, une étincelle venant d’une baguette magique. Les spectateurs suivaient les étoiles qui scintillaient une par une. Un jeu d’ombres et de lumières les saisissaient. Des oh et des ah s’exprimaient timidement. Personne ne se rendit compte que le cadeau avait désormais la forme d’un gâteau d’anniversaire.
Une ombre chinoise de petit lutin glissait sur le rideau au fond de la scène. Tout s’éteignit soudain et le projecteur central reprit son élan pour guider l’attention du public sur le gâteau. Après Noël, un anniversaire. La fête. Ils étaient tous venus pour ça, après celles de fin d’année, ils avaient tous eu envie d’un reste de ces moments éphémères. Et là, sans y avoir pensé par eux-mêmes, on leur mettait en plein dans le mille, leur anniversaire.
Qu’il ait lieu en janvier, tout de suite après, ou au printemps, en été, en automne ou en décembre, presqu’un an après, ils se retrouvaient tous avec la sensation étrange d’y être déjà. Forcément, il y en avait qui le prenaient plutôt mal, parce que vieillir, ça les déprimait ; il y en avait qui s’en amusaient ; il y en avait qui se rendaient compte qu’ils allaient changer de dizaine et il y avait aussi les petits, tout fiers de compter leur un quart, leur et demi ou leurs trois quarts, estimant aussi le nombre de dents qui leur restaient à donner à la petite souris.
La lumière s’éteignit à nouveau. Seules les bougies du gâteau éclairaient la salle. Les spectateurs sentirent un courant d’air leur passer sur la tête, sur les jambes. Ils semblaient stupéfaits qu’à l’intérieur, il puisse y avoir un sens au vent.
Le vent s’engouffra sur scène. Une voix off chantait « à la une, à la deux, à la trois ». Les bougies s’éteignirent toutes d’un coup. Tous les vœux seraient donc exaucés pour cette année, n’est-ce pas ?

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