Revoir le Bain

Je n’aime pas l’eau. Maman m’a déshabillée, mais je n’aime pas la chaleur non plus. Et puis, je suis pudique, je n’aime pas me montrer presque toute nue. Ce n’est pas parce que ma cousine est à poil que je dois l’imiter.

Maman le sait, je n’aime pas l’eau. Et le bateau non plus d’ailleurs. Dans l’eau ou sur l’eau, c’est l’horreur. J’ai peur de me noyer. Et puis l’eau du lac, elle me fait des nœuds dans les cheveux. Après, maman elle me fait mal avec la brosse, parce que c’est tout emmêlé.

Pourquoi est-ce que maman ne m’a pas mis de robe, à moi ? Après tout, je ne suis pas obligée d’allée toucher l’eau. Ma mère et ma tante, elles ont gardé leur robe, elles. Maman me pousse doucement, et je relève mes pieds. Non ! Je-ne-tou-che-rai-pas-l’eau. Je fais celle qui est perdue dans ses pensées. Je répète ma dernière leçon de grammaire dans ma tête. C’est la conjugaison du verbe « s’ennuyer ». Je m’ennuie, tu m’ennuies, elle m’ennuie, nous nous ennuyons, vous m’exaspérez, elles m’embêtent. Comme ça, je suis sûre de retenir que c’est un verbe du premier groupe.

A tous les coups, je vais entendre maman dire « Clarisse elle va nager, elle ! » Et gnagnagna. Mais vas-y, cousine, saute, et qu’on n’en parle plus. Allez, je t’en prie, va dans l’eau, comme ça je serai dispensée, et maman elle va arrêter de me pousser. On dirait pas comme ça, mais c’est la compète entre les deux sœurs. A celle dont la fille saura nager en premier. Mais j’en ai rien à faire ; ni maman, ni ma tante ne savent nager. Et ça ne les empêche pas d’être des femmes bien. Donc, pour être une dame, je n’ai pas besoin de savoir nager. Na !

Allez, cousine, saute à l’eau ! S’il te plaît ! J’en ai mal aux chevilles, à force de fléchir les pieds. Si je replies mes jambes, maman m’a se moquer de moi, me traiter de trouillarde, et gnagnagna.

Et… et s’il pleuvait ? Oh oui, qu’il pleuve ! Comme ça, on va rentrer.

D’après Le bain de Mary Cassatt, 1910

C'est un peu par hasard que j'ai découvert le plaisir d'imaginer des histoires. D-Ecrire des vies. Et j'ai trouvé avec Cécile et Philippe, et tous les participants, de quoi cultiver l'enchantement. Merci à tous.

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