Destination ou chemin

« Est-ce la destination ou le chemin l’important ? » Jeanne se posait la question. Ou plutôt cette question lui avait été posée un jour. Elle n’en connaissait toujours pas la réponse. Certains jours, c’était évident et d’autres non. Jeanne se demandait pourquoi la question revenait aujourd’hui dans son esprit. Elle devait se concentrer, pas penser à des questions philosophiques superflues. Il fallait qu’elle se ressaisisse si elle voulait s’en sortir. Elle ne devait pas s’enfermer dans ses pensées. Ne pas trop réfléchir. Ne pas laisser ses pensées s’envoler. Comme disait son maitre. Un flash de souvenir envahit son esprit aussitôt que le mot se forma. Elle dût s’arrêter un instant pour se reprendre. Fermer les yeux et calmer sa respiration. Chasser les images. Elle ne pouvait penser à cela maintenant. Ne pas réfléchir mais agir. L’inaction était sa plus grande ennemie à présent. Jeanne ouvrit les yeux et ferma les poings. Comme pour s’ancrer dans la réalité. Une douleur bien tangible pour masquer celle qui perçait son cœur. Il n’y avait rien autour d’elle. Rien devant. Rien derrière. Qu’une étendue infinie de grains de sable. Elle était seule au milieu du désert et pour s’en sortir, elle devait cesser de penser. Il n’y avait personne pour l’aider. Seule elle-même et son entrainement pourrait la sortir de ce mauvais pas. Il lui fallait avancer le plus possible tant que la nuit était encore fraiche. Mais surtout trouver un abri pour la journée. Elle ne tiendrait jamais en plein soleil.

A chaque pas, ses pieds s’enfonçaient dans le sable. Chaque pas était un peu plus difficile. Sa respiration était rauque, son cœur battait à tout rompre et ses muscles grinçaient. Mais elle n’avait pas le choix. Il fallait avancer. Les grains s’immisçaient partout et le poids de la gourde dans sa main lui rappelait sans cesse sa situation précaire. Précaire semblait même un peu faible. Jeanne n’avait aucune idée de sa position. Et même si c’était le cas, le bruit de l’eau qui se déplaçait dans la gourde était mauvais signe. Elle s’arrêta un instant et s’humecta légèrement les lèvres avec l’eau. Cette gourde était sa seule chance de survie mais elle lui rappelait sans cesse pourquoi elle était là. Elle revoyait le visage de Serge. Mais par-dessus tout ce sourire malsain quand il lui avait lancé la gourde. Il avait agi comme s’il lui faisait un cadeau. Un cadeau ! Elle avait envie de rire. D’un rire hystérique. Elle sécurisa la gourde et reprit sa route. Elle laissa entrer ce souvenir dans son esprit cette fois. Celui-ci alimentait sa rage. Il la faisait avancer. Oublier les douleurs. Toutes les douleurs. Il ne restait que la colère et son visage. Visage qu’elle entendait bien retrouver et punir. Mais avant il lui fallait survivre et sortir du désert.

« Une femme sous influence » C’est ce que Serge lui avait dit avant de … Ne pas penser à cela. Il avait cru qu’elle se sentirait libérée, qu’elle se rallierait à lui. Jamais. Il avait été bien étonné quand elle s’était lancé sur lui bien décider à se venger. Peu importe ce qu’il pourrait arriver. Malheureusement, un des gardes avait anticipé son geste et l’avait assommé. Jeanne s’était réveillé au milieu du désert la tête de Serge au-dessus d’elle. Elle ne devait pas contrecarrer leur plan. « Je ne peux me résoudre à tuer une aussi jolie plante. Heureusement le désert n’a pas de scrupule. » Serge avait ri en prononçant ses mots, lui avait lancé la gourde et était parti.

Elle sentait le poids de la gourde. Elle était presque en colère de son existence. Sans elle, elle aurait pu s’allonger dans le sable et attendre. Attendre de se faire emporter sans le moindre espoir. Mais cette eau lui donnait de l’espoir. Elle ne pouvait pas abandonner. Peu importe l’issue. Elle était obligée de continuer à avancer. Quoiqu’il arrive, elle se devait d’essayer. Mais essayer était bien plus difficile que d’abandonner. Jeanne était fatiguée de se battre contre elle-même. Contre le désert. Contre le monde. Chaque pas était une torture. Et elle voyait l’horizon s’éclairer au loin. L’air se faisait plus chaud. Pourtant autour rien n’avait changé. Du sable et des dunes. Le bruit de ses pas qui résonnait dans le silence.

Jeanne s’arrêta brusquement. Puis elle fit un pas, un deuxième en tendant l’oreille. Ses pas résonnaient. Elle marchait sur une surface solide. Peut-être cela pourrait-il l’amener à un abri pour la journée. Elle essaya de fouiller le sable du regard. Alors qu’elle allait abandonner, elle aperçut un rocher. Elle changea de direction. En s’approchant, elle s’aperçut que c’était la face visible de ce qui semblait être un ancien surplomb rocheux enfoui par le sable. Elle y trouva une ouverture à peine assez grande pour elle. Le soleil n’était pas encore haut dans le ciel et elle pouvait marcher mais rien n’indiquait qu’elle trouverait un abri plus loin. Jeanne s’engouffra donc dans l’ouverture.

A quatre pattes, elle avançait comme elle pouvait dans ce boyau de pierre en pente douce. La lumière diminuait doucement à mesure qu’elle avançait. La roche rugueuse lui écorchait les mains et les genoux. A certains moments es épaules frôlaient elles aussi la pierre. Jeanne commençait à se demander si c’était une bonne idée d’avancer dans le noir sans but. Mais elle n’avait pas le choix. C’était l’inconnu ou la chaleur brulante du soleil. Seule dans la pénombre, il n’y avait rien pour la distraire. Ses pensées volantes revenaient. Elle avançait mais pourquoi. Pourquoi continuer ? Pourquoi persévérer ? Pour un espoir qui se faisait de plus en plus fugace. Pour une colère qui s’épuisait en même temps qu’elle. Pour un devoir de mémoire. Elle aperçut une lueur diffuse au bout du boyau de pierre. EN même temps, une lueur se fraya un chemin au milieu du désespoir. Jeanne devait continuer. C’était un devoir. Ce devoir qui l’avait poussé à suivre les pas de son maitre. Il était toujours là. Il était présent plus que jamais. Elle devait y retourner. Elle était la seule à savoir ce qui se tramait. La seule à pouvoir l’empêcher.

La lueur s’agrandit à mesure qu’elle continuait d’avancer. Elle déboucha enfin dans une salle. Pas très grande mais assez pour qu’elle puisse mouvoir debout. Elle s’étira et examina ses mains et ses genoux. Rien de grave mais la pierre avait fait quelques dégâts. Un bruit ténu lui parvint alors. Un bruit de clapotis. Jeanne se dit d’abord qu’elle rêvait. Mais à mesure qu’elle approchait du mur du fond, le bruit s’amplifiait. Elle découvrit un filet d’eau qui s’échappait d’une crevasse dans le mur. Jeanne s’effondra alors et pleura toute seule à même le sol dans cette salle rocheuse au milieu du désert. Toutes les tensions et émotions se déversant de ses yeux. Cette espoir tenue se logea plus profondément dans son cœur. Elle allait pouvoir continuer. Un endroit à l’abri et de l’eau fraiche, c’est plus que ce qu’elle en attendait. Allongée, le regard river sur la voute de pierre, elle essayait de calmer le tumulte qui régissait son esprit. Rien n’était gagner. Elle ne savait toujours pas où elle était, ni comment rejoindre la civilisation. Encore moins comment déjouer les plans de Serge. Elle était seule au milieu du désert. Elle était une simple disciple. Une femme sans influence. Et pourtant un sourire s’étira sur son visage. Elle appréciait cette sensation d’immobilité après sa marche forcée. Elle sentait chaque muscle, chaque battement. Elle était seule et perdue mais elle ne se laisserait pas faire. Elle devait continuer, y retourner. Elle devait. Le visage de Sophia se dessina sous ses paupières. Le rire de Paul résonna dans ses oreilles. La main d’Eloïse se logea dans la sienne. Et tous les autres. Tous ceux pour qui elle se battait. Tous ceux pour qui elle devait continuer.

Jeanne ne savait pas quand elle s’était endormie, ni pour combien de temps. Mais une rai de lumière attira son œil. Sur un des côtés de la voûte rocheuse se trouvait une autre ouverture que celle par laquelle elle était rentrée. Une simple fente mais qui permettait de voir le ciel. Le soleil était haut. Surement le milieu de la journée. Ici dans son abri, la chaleur était supportable. Ses lèvres gercées et sa gorge parcheminée se rappelèrent à elle. Elle but alors lentement. Jamais encore elle n’avait autant apprécié l’eau qui envahit sa bouche et coulait le long de son œsophage pour venir peser dans son estomac. Elle réussit à remplir la gourde au filet d’eau. Il ne lui restait plus qu’à attendre la nuit pour continuer de marcher. Assise en tailleur, elle essaya de méditer. Au milieu de sa méditation, la question lui revint : « Est-ce la destination ou le chemin l’important ? » Elle ne connaissait toujours pas la réponse avec un grand R, mais elle savait ce qu’il en était pour sa situation. Le chemin était le plus important. Elle ne connaissait même pas sa destination. Il lui fallait faire le chemin pour la connaitre. Continuer de mettre un pied devant l’autre. Elle avait un but mais pas de destination. Etait-ce idiot ? Jeanne sentit alors ses cheveux se dresser dans sa nuque. Elle se sentit épier. Elle se retourna brusquement en position de défense et retrouva nez à nez avec deux yeux brillants dans la pénombre du boyau de pierre.

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