Confinement exacerbérateur

Le cliquetis du toque œuf* cognant la coquille de l’œuf retentit. Une fois, deux fois, trois fois ; et ces bruits furent suivis d’un « MERDE !! » retentissant et sonore…. L’œuf avait éclaté sous les coups de butoir trop puissants du toque œuf, et avait giclé partout, non seulement sur l’assiette,  non seulement sur la table, mais aussi sur le pull en cachemire couleur lavande de Mireille, et l’avait constellé de tâches jaunâtres du plus bel effet artistique… Mais elle était complètement insensible à cette vision poétique de la situation, et surtout vraiment en colère !

J’essayais de la calmer un peu : « Tu vois, il y a un mois tu as acheté des perles à coudre pour décorer ton pull et tu avais bien l’intention de coudre ces perles dessus. Tu voulais le décorer, et bien voilà, c’est fait, pas besoin de perles… ».

Elle me jeta un regard noir, si elle avait pu, elle m’aurait ratatiné comme un accordéon, « écrasibouillé »  comme une statue de César.

Mireille et moi, nous sommes unis depuis trente ans. Je connais donc bien les excès de ses humeurs. Je sais que ça ne va pas durer, ça va bientôt passer. Mais en attendant, je n’en mène pas large. Si j’étais une souris, je filerais dans mon trou sans me faire prier. Mais je ne suis pas une souris et je ne passe pas inaperçu.

Elle enchaîne : « Ben, ne reste pas planté là, comme une boîte aux lettres, prends une éponge et aides moi à essuyer tout ça ! ». Elle disait cela avec tant de véhémence qu’elle ne pouvait s’empêcher de postillonner. « Du calme ! », lui répondis-je : « tu t’énerves si tu veux, mais me refiles pas le Coronavirus. Je te rappelle qu’il y a des règles à respecter, même entre nous. Je t’aiderais, mais si tu te calmes, et fermes un peu la bouche. Ou alors tu mets ton masque ! »

Tout à coup, sa colère tomba, et céda la place au désarroi. « Entre nous ! Même entre nous ! T’es vraiment pas sympa. Tu pourrais garder un peu de tendresse, quitte à prendre le risque d’être malade ensemble ! Rien qu’un peu de tendresse ! ».

  • « Ah oui ! Et si je meurs et pas toi ! Tu m’as toujours dit que tu m’interdisais de mourir le premier ! Tu serais bien obligé alors de porter mon urne funéraire et de disperser mes cendres ! Et puis de faire avec le vide ! »
  • « Rigoles pas avec ça ! C’est pire que ça. Si tu meurs, ce sera pour moi comme si on avait éteint toutes les lampes. La vie sera sombre et grise, même avec des lunettes roses. »
  • « Mais, c’est dingue ! Tu ne penses qu’à toi ! Que je soufre, que je meure, ça, tu t’en fiches ! »
  • « Tu sais il faut bien mourir d’une façon ou d’une autre. Huit semaines sous réanimation, c’est peut-être moins pire qu’un Alzheimer, à se retrouver pendant des années avec une intelligence de cochon d’Inde, à ne même plus savoir différencier les jours sur le calendrier… »
  • « Bon ! C’est vraiment trop déprimant notre conversation. Je me prends une lampée de porto. T’en veux pas une ? »
  • « Si, bonne idée. Mais aides-moi d’abord à finir d’essuyer. Le pull, de toute façon, je le mets au sale avec une pastille de liquide de lessive pour lui tout seul. La lavande va devenir Pastel, mais attendons de voir, peut-être que ça ne sera pas mal après tout. »
  • « C’est ça, on peut généraliser, attendons de voir ce confinement, ça sera peut-être pas mal ».

* Toque œuf  ou toque œufs ou toqueur à œuf : petit instrument permettant de découper la coquille pour décalotter un œuf à la coque, où une clochette en métal glissant le long d’une tige vient percuter le sommet de l’œuf à ouvrir.

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