Le jardin clos

Les touristes montent la rue menant jusqu’à l’église, le guide ouvert et l’appareil photo prêt à servir. Ils ne soupçonnent pas le monde caché derrière les façades dont ils admirent les colombages lustrés, photographient les agencements de briques de couleurs, les escaliers tordus.  S’ils entraient dans l’une ou l’autre de ces maisons aux murs épais, tout éblouis de l’éclat du dehors, ils tâtonneraient dans les entrées, les cuisines à demi enterrées et jusqu’au fond des grandes salles où comme un œil unique, une maigre fenêtre ouvre sur la lumière. Ils franchiraient, curieux, la porte de derrière et sans rien y comprendre, suivraient en dégringolant une myriade de petits escaliers traversant des morceaux de jardins imbriqués ou conjoints, vers une venelle minuscule que longe un tout petit ruisseau. D’un saut enjambé, la porte de bois poussée, ils entreraient dans un jardin inconnu et pourtant familier, habité de grands arbres ordinaires, de fruitiers, et courant à petit pas jusqu’à la rivière du fond.

D’un vol vif, l’oiseau bleu, couleur du temps, ferait lever devant leur yeux les images d’antan ; les viviers à poisson de l’hospice voisin, maintenant transformé en hôtel 5 étoiles ; les cris des compagnons charpentiers et maçons bâtissant le grenier à blé de l’évêque de Fleury, aujourd’hui temple protestant abandonné dont on visite parfois la charpente millénaire ; le chant des moniales dans leur couvent dont il ne reste rien, comme le château réduit à quelques ruines, un rempart noirci où pousse le chiendent.

Ce jardin n’a pas d’autre issue que sa porte de bois et ses marches de pierre blanche. On y trouve parfois, en creusant, un clou rouillé à tête pyramidale, témoin véritable de ce temps d’autrefois, disparu et pourtant actuel.

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