Cache-cache

Si nul convive ne fait le voyage, vous serez déçus. Moi ça m’est égal, car moi je suis un pont. Ô pas un pont spectaculaire comme le viaduc de Millaut, le pont de Normandie ou la célèbre arche rouge de San Francisco, non je suis un pont modeste. Mais le plus ancien pont de Paris, né en 1578. J’ai une histoire, moi, je suis dans l’histoire de ma ville et puis j’ai quand même 12 arches et, excusez du peu, je suis à l’extrémité de la Cité, very chic quand même. Bref je me trouve plutôt bien foutu et attractif pour mon âge. D’ailleurs eux ne s’y sont pas trompés. C’est moi qu’ils ont choisi, mes pierres rebondies, mes gracieuses sculptures, mes formes avenantes.

Ils sont arrivés un matin, une vraie équipe de métreurs, d’arpenteurs, d’ingénieurs, et puis lui et elle, les meneurs de jeu. Le lendemain ils sont revenus en bateau. Ils m’ont bien lorgné sous la jupe, ensuite ils ont recommencé à mesurer, à géométrer  et à discuter. Un murmure continu, en écho sous mes arches. Bien du temps à passé. En secret j’espérais retrouver cette agitation, cette dynamique, cet intérêt renouvelé pour mes vieilles pierres.

Finalement un matin ils sont revenus. Bien plus nombreux et plus personne sur moi sauf eux, tous ces techniciens avec leurs camions et là, là, incroyable, ils m’ont enveloppé dans un tissu légèrement doré à la texture ferme et souple à la fois. Quel plaisir, quel plaisir, tous ces plis, ces cordages, ces attaches au millimètre près, ces mains qui me palpent, me sondent au plus serré !

Quelques semaines plus tard sont arrivés les passants, tous les photographes qui ne pouvaient pas photographier, tous ces adolescents amoureux, se tenant par la main, un peu ébahis quand même par ce qu’ils voyaient. Alors j’ai compris que j’étais Plus beau que jamais, très sexy avec toutes mes architectures mises en valeur. Un  jour un technicien a dit: « eh Christo, on l’a bien emballé, non ? » et lui, dont je connaissais enfin le nom, ce Christo il s’est mis dans une colère inouïe.  » Ce n’est pas de l’emballage, pauvre crétin, on n’est pas aux halles, c’est de l’empaquetage. »

J’ai pas bien compris la différence, mais les artistes ont tous leurs lubies. Maintenant il est mort, il ne posera pas ses mains ingénieuses et caressantes sur l’Arc de Triomphe, comme il le désirait tellement. Maintenant il a rejoint Jeanne-Claude au paradis des fous furieux, au paradis des obsédés solaires, au paradis  des façonneurs de merveilles, au paradis des indispensables illuminés.

 

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Une réponse à Cache-cache

  1. Emmanuelle P dit :

    Lorsque l’Arc de Triomphe sera empaqueté, puisque cela se fera, je penserai à ce texte !

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