Le désordre

Tu regardes le désordre : la vaisselle s’empile, le linge sale déborde, la poussière s’invite. Tu regardes dehors, tu tournes le dos à ton désordre.
La fenêtre est ouverte, tu as un pied sur le balcon, un pied à l’intérieur. Le silence extérieur a disparu. Tu entends les voitures, les outils des ouvriers qui s’étaient éclipsés. C’est un beau fouillis qui se réorganise : des voitures qui accélèrent, des sirènes qui retentissent.
Étonnamment, tu n’entends plus les enfants jouer. Leurs voix ont disparu avec le silence. Ou peut-être qu’elles ne portent plus aussi loin qu’avant. Les autres bruits de la ville reprennent le dessus. Ça aurait été bien que les bruits d’avant se mélangent avec les bruits d’aujourd’hui. Ça aurait mis de la mélodie dans une cacophonie qui t’avait manqué, que tu pensais ne jamais retrouver.
Tu reviens à l’intérieur. Tu aimerais éviter le désordre mais il est toujours devant toi. Tu nettoies et il revient le jour suivant. Comment peut-il revenir aussi rapidement ? Que se passe-t-il la nuit quand tu tentes de dormir ?
Tu tries ton linge sale, tu lances une machine. Tu rinces ta vaisselle, tu lances une machine. Tu branches l’aspi, tu lances une machine.
Tu regardes ta maison, ton foyer, le désordre a disparu. Plus d’étagères poussiéreuses. L’odeur de tes soucis embaume la pièce. Les pucerons profitent de la fenêtre ouverte et s’envolent vers d’autres tiges, d’autres plantes.
Chez toi, le silence s’installe. Dehors, la vie reprend son souffle. Dedans, il fait froid. Sur le balcon, il fait chaud. Quelle est donc cette frontière invisible et pourtant si réelle entre l’intérieur et l’extérieur ?
Tu regardes autour de toi, tu fermes les yeux pour regarder au fond de toi. Tu vois le battement d’ailes d’un papillon, tu entends le bourdonnement d’une coccinelle à quatre points. Dans quatre minutes, dans quatre heures, dans quatre jours, dans quatre mois, dans quatre ans, dans tout ce temps d’après, le désordre reviendra et tu nettoieras ce que tu pourras. Ce n’est pas tout à fait ce que tu voudrais faire.
Parfois, tu voudrais laisser plus de place au désordre. Mais tu ne peux pas parce qu’il en prend déjà trop. Il s’installe, s’immisce. Tu ne vois plus clair, tout devient flou et embrouillé. Tu ranges pour y remédier. Et pourtant, ça revient tout le temps. Quand est-il possible que la vie soit enfin paisible ? C’est très apaisant quand tu songes au fouillis. C’est un sage qui l’a dit. Ça doit être propre chez lui, tu te dis.

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