Le vélo et le raidillon

Un matin de janvier, après une nuit de tempête sur le mont chauve qui lui sert de crâne, Paul est monté sur ses grands chevaux. Vertiges, chute, et une fracture de l’astragale. Il a rangé son vélo dans la cave, le mors aux dents et la rage aux lèvres.

Quelques mois plus tard, il a enfourché la petite reine et s’est imposé un raidillon.

– C’est de la folie, lui a assené sa grande Reine, sa femme.

– Fou je suis, fou de vélo je reste, a-t-il rouspété.

– Mais enfin, opposa l’épouse, le raidillon est mouillé par la pluie de la nuit. Tu pédales le risque de glisser.

– On ne dit pas tu pédales, on dit tu cours.

– Certes, quand furieux tu pesteras contre le raidillon, tu courras, non, tu marcheras – et toc – à côté de ta bicyclette. Tu fais le gros dur, mais tu espéreras une descente plus clémente.

– Vilaine ! siffla Paul.

Et il prit ses cliques et ses claques. Enfin, pas tout à fait, car il n’avait pas de sacoches sur son vélo de course.

La bécane lui sembla lourde, il eut l’impression de traîner une roue à inertie de plusieurs kilos. Il vérifia ses freins. Ils étaient en position haute. Il aurait donné cher pour une pente douce ; il aurait vendu sa mère, son père et sa femme pour un lac déserté où délasser ses cuisses. Le raidillon se commua en affront.

Paul, courbé sur sa machine, sentait le feu brûler ses poumons. Le ronronnement de la chaudière dans sa poitrine avait été remplacé par un douloureux halètement. Il tournait la tête sur la droite, sur la gauche, en quête d’air. Ses jambes, ramollies par l’inactivité, lâchement l’abandonnaient.

– C’est de la folie, lui avait martelé la femme qui partage son lit.

– Je suis fou… je suis con d’essayer de pédaler sur ce raidillon après une sale blessure.

Il avala une gorgée d’eau, mais aucune force ne s’invita en lui. A mi-raidillon, la tête basse, le cœur gorgé de sang et de larmes, il fit demi-tour.

Il monta le vélo sur un mécanisme, dans le garage. Dorénavant, il s’entraînerait caché, à l’intérieur, devant un écran laissant défiler un raidillon, le mont Ventoux, la descente de Garmisch-Partenkirchen. Sa folie du vélo n’eut plus aucune limite.

C'est un peu par hasard que j'ai découvert le plaisir d'imaginer des histoires. D-Ecrire des vies. Et j'ai trouvé avec Cécile et Philippe, et tous les participants, de quoi cultiver l'enchantement. Merci à tous.

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